Ayuda me [début de Alba et Jeremiah]

Il trembla pour elle en la voyant jouer les équilibristes, se demandant si l'escalier supporterait son poids à lui. Il souffla quand elle attérit au palier inférieur et s'engagea avec appréhension sur les marches branlantes.

Il se collait au mur, souhaitant presque entrer dans la brique. Le bois craquait sinistrement et, à chaque pas, il s'attendait à ce qu'il cède et l'entraine dans le vide. Il irait alors rejoindre les autres cadavres. Ci gît Jeremiah "Dakota" Lane. Ni fleurs ni couronne... Il eut un frisson dans le dos rien que d'y penser. Il se concentra sur la suite de son parcours. Il fallait se dire que c'était comme un parcours d'acrobranches... sans les branches et les harnais de sécurité.
Une marche craqua encore et il la sentit trop souple à son gout, prête à céder. Il passa à la suivante. Sa position était précaire, comme son équilibre. Il évita la marche qui avait fait peur à Alba et sauta sur le palier pour la rejoindre. Il était en sueur et avait les mains moites.

- Plus qu'un et on est dehors, dit il avec un sourire forcé.

Alba regarda autour d'elle, mais réalisa qu'il n'y aurait rien de plus à trouver ici. Un silence de mort envahissait de plus en plus les lieux. Il fallait partir d'ici... et vite.
- Oui plus qu'un!

Elle répéta les gestes avec plus d'aisance, et plus d'assurance. La hauteur de la chute serait de toute façon moins haute d'ici. Aussi elle fit moins attention à ses pas et descendit par chance sans encombre. Elle attendit que Jeremiah la rejoigne avant de sortir dans la rue.

Il y avait une odeur étrange, entre le cramé et la putréfaction. Rien de très rassurant. Sans un mot elle resta immobile devant ce paysage chaotique, cette vision d'horreur. Les larmes coulaient le long de ses joues instinctivement.
- Je souhaite me réveiller dans mon lit ou à la bibliothèque et que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve.

Elle ferma fort les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit. Rien n'avait changé. Elle explosa en sanglot avant de lever la tête au ciel:
- Hijo de PUTAAAAAAAAAAAAAAA ! Je ne t’ai jamais rien demandé et tu n'as jamais rien fait pour moi, mais là tu pourrais faire un effort! Cabron!

Elle s'accroupie un instant, tachant de reprendre son souffle et retrouver son calme.

Avisant non loin de l'entrée un distributeur de bonbons et de boissons, il s'était arrêté deux minutes pour prendre un sac à dos près du corps d'un étudiant et y fourrer tout ce qu'il pouvait, de préférence les bouteilles d'eau et les gateaux secs. Il sortait à son tour quand Alba s'était mise à hurler et à pleurer. Il avait couru vers elle et, lorsqu'elle s'était accroupie, l'avait rejointe pour la prendre dans ses bras.

- Chut, chut, dit il avec un calme surprenant, essayant de la rassurer.

Il leva la tête en la gardant serrée contre lui et il sentit sa gorge se serrer d'angoisse devant le spectacle chaotique qui les entourait. C'était encore pire que de la fenêtre. Il évita de regarder les nombreux cadavres sur les trottoirs ou dans les voitures pour ne pas vomir. Il serra les dents à se les faire crisser.

- Allez Alba, debout ! dit il d'une voix plus forte, autoritaire, pour la faire se bouger. Reprends toi ! Il faut bouger !

Il fouilla dans le sac à dos et ouvrit une bouteille d'eau.

- Bois ça, ça te fera du bien. Et maintenant, debout ! On s'en va d'ici !

Il regarda aux alentours, cherchant un repère. Il espérait trouver sa moto intacte ou, du moins, en état de les transporter. La voiture, ce n'était même pas la peine d'y penser. Et à pieds... cette perspective lui faisait froid dans le dos. Il ne tenait pas particulièrement à se balader dans les rues détruites la nuit, entouré de cadavres.

Titubante, Alba se remit debout et but machinalement à la bouteille que lui tendait Jeremiah. Elle se souvint alors que si elle n'avait pas grand monde qui l'attendait, Jeremiah semblait lui s'inquiéter pour quelqu'un. Elle sécha ses larmes et mordit fortement la manche de son manteau pour étouffer ses cris, ses gémissements et arrêter de trembler. Elle suivit alors Jeremiah qui semblait chercher quelque chose.
- Faut pas qu'on traîne, le soleil se couche... Tu sais où on va? J'habite au campus, mais j'ai peur d'y mettre les pieds. Si ça ressemble à ici, je ne supporterai pas. Tu dois aller quelque part? Je peux venir avec toi?

Terrorisée, il était hors de question qu'elle rentre seule. Il s'en était sorti tous les deux, elle préférait rester avec la seule personne qu'elle était sûre de savoir en vie. Elle eut envie de courir chercher Madeleine Debuisset, mais elle devait sûrement être en sûreté? Non? Elle travailler au commissariat. Il n'y avait pas de raison qu'elle ne s'en soit pas sortie. Pas vrai? Elle essayait de s'en convaincre au fond. Et puis, ils allaient bien finir par trouver un moyen d'appeler les pompiers, ou l'armée, la police... ou quoi encore? Ils ne pouvaient pas être les seuls...

- Tu crois qu'il y a des blessés? Normalement il y en a toujours à la télé lors des catastrophes naturelles, c'est rarement qu'il n'y ait que des morts... ce n’est pas possible? Pas vrai? On est forcement pas tout seul! On va en trouver d'autre... j'en suis sûre...

Sa voix était étranglée, mais elle continuait d'espérer, parce qu'il était là et que par conséquent, elle n'était pas seule.
Ils ne pouvaient pas être les derniers survivants!

- Faut pas qu'on traîne, le soleil se couche... Tu sais où on va? J'habite au campus, mais j'ai peur d'y mettre les pieds. Si ça ressemble à ici, je ne supporterai pas. Tu dois aller quelque part? Je peux venir avec toi?

Il ne l'avait pas lachée tout en cherchant sa moto des yeux mais il s'arrêta lorsqu'elle posa ses questions. Il devait aller voir si Katie était toujours en vie. Lui qui n'avait jamais prier Dieu dans sa vie se demandait s'il n'allait pas essayer.

- Tu crois qu'il y a des blessés? Normalement il y en a toujours à la télé lors des catastrophes naturelles, c'est rarement qu'il n'y ait que des morts... ce n’est pas possible? Pas vrai? On est forcement pas tout seul! On va en trouver d'autre... j'en suis sûre...

- On va trouver quelqu'un, Alba, dit il d'une voix forte et rassurante. En attendant, on reste ensemble, ok ? Je t'emmène avec moi. Il faut que... Il faut que j'aille voir si Katie va bien.

Il évita son regard pour ne pas lui montrer qu'il était mort de trouille à l'idée de trouver un cadavre.

- C'est ma petite amie, précisa-t-il. Et toi ? Tu t'inquiète pour quelqu'un ?

Il repéra sa moto et y emmena Alba d'autorité. Il lacha la jeune femme un court instant pour écarter quelques gravats et poussa un soupir de soulagement en constatant qu'elle était toujours entière. Il la redressa en bandant ses muscles et vérifia que le réservoir n'avait pas été percé sous le choc. Il trouva la clé de son antivol au fond de sa poche et enleva l'engin. Il récupéra ensuite son casque et le tendit à Alba avec le sac à dos.

- Mets ça. On y va. Katie habite pas loin d'ici.

Il monta sur sa bécane et actionna le démareur. Le moteur eut un peu de mal, sans doute à cause du choc et de la poussière, mais il ronronna bientôt. Entendre ce bruit faisait du bien au jeune homme même si, dans le silence écrasant des environs, il lui semblait résonner dans toute la ville, presqu'assourdissant.

Alba le suivit sans broncher. Elle pensa à Madeleine... A ce qu'elle devait à cette femme. Elle soupira.
- Allons voir d'abord si Katie va bien. Ma tutrice doit être au commissariat. Quelque chose me dit que je n'ai pas à m'inquiéter... C'est le commissariat après tout, y a pas de raison qu'il soit touché. Il y a forcement des policiers en vie qui patrouille à la recherche de survivants...

Alba était en train de se reconstituer un monde où tout allait bien. Pourquoi s'inquiéter. Toute la ville ne pouvait pas ressembler à ça. C'était inimaginable. Elle avait hâte de voir le visage de Katie et de voir Jeremiah rassuré. ça prouverait qu'elle avait raison.
Elle enfila le casque et grimpa derrière Jeremiah. Elle aggripa les poignet du passager. Le casque lui masquait une partie du théâtre de désolation dans lequel ils avançaient. Alba s'apaisa et devint plus sereine, avec la certitude que tout allait bien se passer.

Jeremiah avançait doucement à sa plus grande frustration. Revoir Katie, s'assurer qu'elle allait bien devenait une urgence de plus en plus vitale au fur et à mesure de leur progression. Il aurait aimé aussi avoir le vent en pleine face et l'ivresse de la vitesse pour se griser et oublier tout ce qu'ils traversaient. Mais c'était impossible. Il y avait trop de dégats : la route défoncée, les immeubles écroulés pour certains, les canalisations d'eau brisées qui se dévidaient en énormes geysers, les bagnoles empilées... sans oublier tous ces cadavres, encore et toujours.
Le jeune homme manqua de s'arrêter pour vomir une fois ou deux alors que sa roue avant ratait de peu une tête ou un membre ou encore lorsqu'ils roulaient dans une mare de sang caillé. Pourtant, ils avançaient plus vite qu'à pied.

Alba ne disait plus rien, le casque enfoncé sur les yeux. Cela valait mieux pour elle.
Ils passèrent dans une rue qui avait abrité avant les grands magasins. Jeremiah se souvint, en passant devant une vitrine, que c'était là qu'il devait se rendre après avoir rendu les livres à la bibliothèque. Pour acheter le cadeau d'anniversaire de Katie. Il avait eu l'intention de lui offrir des boucles d'oreille. Celles qu'elle avait repéré en riant quelques semaines plus tôt en insistant bien sur le fait que son anniversaire arrivait bientôt. Il aurait été capable d'oublier, avait elle dit. Sans doute oui. Lui et les dates...

Leur progression était lente et la nuit tombait. Il avait allumé ses phares. C'était encore plus glauque comme ça... Il aurait donné n'importe quoi pour entendre un autre moteur que le sien !

Alba se cramponnait aussi fort qu'elle pouvait. Elle fermait les yeux par moment. La nuit avait obscurci les rues et des feux pas très joyeux sortait des immeubles, laissant une odeur de chair brûlée imprégner leur vêtement. Qui redonnerait un vrai visage à cette ville ? S'ils étaient les seuls... il faudrait partir loin d'ici. OUblier cet endroit, le rayer de la carte. Et si le reste du monde était pareil?

Alba frissonna. Elle rejetait cette idée. Elle plongea alors dans des souvenirs plus heureux. Son enfance? Elle ne s'en souvenait presque plus. Elle repensa à sa rencontre avec Madeleine. Elle subissait un interrogatoire au commissariat quand la jeune femme était arrivée pour la prendre en charge. Pas encore majeur, Alba bénéficiait de l'aide du gouvernement en la personne de l'assistante sociale. Elle lui a sourit et Alba avait alors deviné qu'il y avait une chance pour elle à Epsilon.

Et puis elle avait été prise de spasme violent. Son ventre la faisait souffrir. C'est à l'hôpital que l'on a découvert la cause de ses maux. Un sachet de drogue c'était ouvert et la substance toxique attaquait son estomac. Il lui fallut plusieurs opération et désinfection pour venir à bout du fléau. Elle qui n'avait jamais prit de drogue avait failli mourir à cause d'elle.

Elle se souvint ensuite de sa découverte du campus. Des professeurs et de leur accueil chaleureux…

Alba s'endormait. Elle luttait pour restée éveillée, mais la journée avait été éprouvante.

La moto s'arrêta alors qu'elle sombrait. Jeremiah ne dit rien, se contentant de regarder d'un air effaré l'immeuble où habitait Katie. Il était dans le même état que les autres.
Le jeune homme était tétanysé. Son coeur lui criait de courir et de grimper les 2 étages quatre à quatre pour retrouver sa petite amie mais ses jambes refusaient d'avancer. Il avait trop peur de ce qu'il allait découvrir.

Alba fut réveillée par l’absence de bruit. Elle souleva sa tête qui tombait lourdement sur le dos de Jeremiah. L'endroit où il venait d'arriver était tout aussi vide de vivant que les autres. En dehors de la lumière des phares de la moto, encore allumés, il y avait quelques incendies qui éclairaient la rue.
- On est arrivé?

Jeremiah ne répondait pas. Il semblait tétanisé. Alba descendit de moto et l'incita à en faire de même. L'immeuble en face d'eux était dans un sale état. Et si Katie n'était pas là? Quelque part, il valait mieux. Quelque chose était tombé sur le haut de l'immeuble écrasant les 3 derniers étages. Le premier semblait brûler dans un appartement, mais le second semblait intact. Du moins vue d'ici.
- Où habite Katie? Il faut y aller...

Entendre Alba le ramena à la réalité. Il éteignit le moteur et regarda tout autour de lui, comme si le silence le surprenait encore.

- Au 2e étage, dit il d'une voix blanche.

Il passa devant la jeune femme, le regard déterminé et anxieux à la fois. Il fallait qu'il aille voir. Il fallait qu'il sache. Elle était peut être encore à son travail lorsque c'était arrivé. Il essayait de trouver des tas de raisons pour lesquelles Katie ne pouvait pas être dans son appartement à 15h mais c'était uniquement pour se rassurer. Cela ne marchait pas tellement d'ailleurs.

Alba suivait Jeremiah aveuglement. Elle ne savait pas où elle allait, elle ne réfléchissait pas au danger, ni aux conséquences de ce qu'ils faisaient tous deux. Elle ne savait même pas si ce qu'elle faisait avait un sens. Elle était fatiguée, mais comprenais l'enjeu de cette étape. Elle monta les escaliers à la suite de Jeremiah. En passant devant la porte du premier étage, ils purent sentir une chaleur infernale, mais Jeremiah ne s'arrêta pas guidé par son cœur.

Alba eut peur d'un coup... Et si... Et si une mauvaise surprise l'attendait. Instinctivement, elle ralentit sa marche tandis que Jeremiah filait au deuxième étage. Elle s'arrêta devant la porte du deuxième étage, mais Jeremiah était déjà dans le couloir.

Il était en bon état, mais les murs étaient défoncés par endroit. A cette heure là il n'y avait pas grand monde dans l'immeuble, peut être parce que tous le monde travaillait. Les portes étaient toutes ouvertes comme si un ouragan les avait soufflé et des courants d'air parcouraient les lieux faisant d'affreux sifflement. Le tapis de porte de Katie avait volé jusqu'au milieu du couloir comme une incitation à poursuivre l'avancée. Un appel pour Jeremiah à la rejoindre. Dans l'encadrement de la porte, on pouvait voir des gravas, des morceaux de meubles entraver l'entrée.

Jeremiah grimpait les escaliers sans se soucier de leurs craquements sinistres. C'est à peine s'il sentit la chaleur de l'incendie du premier étage, tous ses sens et toute son attention focalisés sur un unique but : voir Katie, la retrouver vivante. Il avait mis sa raison de côté, celle qui lui disait qu'il n'y avait plus rien de vivant ici, que tout était détruit et qu'il valait mieux qu'ils déguerpissent au plus vite avant d'être engloutis par un effondrement ou l'incendie qui ravageait l'étage inférieur.
Son coeur battait la chamade et il sentait le sang battre à ses tempes. Marche après marche, tous ses muscles se tendaient à se rompre, il avait de plus en plus de mal à respirer et il serrait les poings à s'en faire craquer les jointures. Il avait les mains moites et une sueur froide lui collait sa chemise dans le dos sous son blouson de cuir.

Il fixa le tapis qu'il avait reconnu de ses yeux écarquillés. Il regarda la porte défoncée et sentit son coeur s'arrêter de battre. Il avait même arrêté de respirer. Cet appartement, ce palier, il se les rappelait comme ils auraient du être : propres, avec une plante dans un coin que Katie arrosait régulièrement pour faire plaisir à sa voisine d'en face. Il crut entendre rire la jeune femme. Il avança vers l'appartement. Ses jambes étaient en plomb, sa gorge était sèche. Il se stoppa devant l'entrée et entreprit de dégager les morceaux de meuble au mépris des échardes qui lui rentraient dans la peau. Une seule chose était présente à son esprit : Katie. Katie. Katie.

Il fallut enjamber cet obstacle pour pénétrer dans le studio de Katie. Dans l'entrée, un cadre qui pendait avant au mur était brisé, créant une fissure sur leur photo. En face, il ne restait rien de la cuisine. Les vitres avaient volées en éclat et tous appareils étaient empilés les uns sur les autres. A gauche la chambre de Katie était sans dessus dessous. Les rideaux ressemblaient à des fantômes descendant dans le sombre azur de cette nuit terrifiante. Une lueur brûlante venant de l'étage du dessus laissait espérer un brin de vie. Couché sur le lit, un corps magnifique vêtu d'une robe légère. Mais quelque chose clochait. La position du corps. A l'envers, les pieds sur l'oreiller. Et puis... il y avait aussi l'agencement de ses membres... Disloqués ! La seule harmonie était l'ombre du rideau qui semblait redonner vie à cet être qui c'était appelé Katie. Ses cheveux éparpillés semblaient plus longs... Le sang sortant de son crâne les avait prolongés dans l'obscurité. Les yeux grands ouverts regardaient vers l'entrée de la chambre comme si elle attendait quelqu'un? Comme si elle espérait qu'on vienne la cherchait et la remettre en place ! Son poing serré semblait dissimuler quelque chose.

Affreuse poupée, si jolie Katie. Aucune vie n'habitait les lieux.

Alba avait pénétré dans le couloir à son tour. Elle avança un peu avant de s'accroupir et de s'appuyer contre un mur. Elle appréhendait la suite. Le murmure du couloir se fit plus fort.
- Trop tard! Chuchota-t-elle.

Les membres en plomb, il avait avancé dans le couloir, ignorant les débris de verre et le reste. Il cherchait Katie des yeux, redoutant le pire à chaque seconde. Il se pétrifia à l'entrée de la chambre.

Un instant, un infime instant, il crut qu'elle dormait mais la réalité le rattrapa aussitôt. Le sol sembla s'effondrer sous ses pieds et ses jambes de plomb devinrent coton. Il tremblait de partout.

- Non... murmura-t-il la voix étranglée.

Il était tétanisé, son regard bleu s'attachant aux yeux morts de Katie qui le regardaient fixement. La lueur des flammes du premier étage leur parvenait et éclairait la scène sinistrement. Il eut du mal à déglutir et sentit la rage l'envahir. Il se précipita soudain vers elle et trébucha. Il s'étala par terre, s'enfonçant des bouts de verre dans les genoux et les mains. Mais il ne les sentit pas. Il avait trop mal à l'intérieur. Il avait envie de hurler, de casser quelque chose, de pleurer aussi mais tout resta à l'intérieur, bloqué.
Il parvint jusqu'au lit, les genoux ensanglantés. Katie... Sa douce Katie... Morte... Il caressa doucement ses cheveux pleins de sang coagulé, répétant sans cesse son prénom.

- Katie... Sweety... Katie...

Il avait l'impression d'avoir un trou à la place du coeur. Ses yeux s'embuèrent de larmes mais il ne pleura pas. Tout restait bloqué, encore. Il resta ainsi de longues minutes, à caresser doucement la chevelure de la femme qu'il aimait. Il eut un petit rire sinistre en se rendant compte de cela. Oui, il l'aimait. Il ne lui avait jamais vraiment dit, n'en étant pas sur lui même. Cela ne faisait que quelques mois qu'ils étaient ensemble. Il ne se liait pas si facilement. Elle était la seule depuis qu'il était arrivé ici qui l'avait gardé plus de quelques jours ou quelques nuits. Elle plaisantait si souvent en disant qu'il n'était qu'un rustre d'américain mais son regard s'allumait à chaque fois qu'elle le voyait.
Il ferma ses yeux d'un coup. Il n'en pouvait plus de voir son reproche muet. Il l'avait laissée mourir, seule. Il n'était pas avec elle. Il était incapable de voir l'absurdité de son raisonnement pour le moment. Il ne pouvait que se reprocher de n'avoir pas été là.

Alba attendait dans le couloir. Son silence en disant long. Elle entendait Jeremiah. Elle avait l'impression d'entendre un mélodrame à la télé en fuyant l'écran pour ne pas pleurer. Elle imaginait bien la douleur qui pouvait être la sienne. Elle réalisa alors qu'elle ne reverrait jamais Madeleine. Curieusement, aucune larme ne lui venait. Elle avait trop pleuré pour aujourd'hui. Et puis, elle s'y était attendue. Trop de mort. Il devait être les seuls. Pourquoi eux? Le regard perdu, son esprit se vidait.

Dans le couloir, elle entendait Jeremiah prononcer le nom de Katie. Le murmure du vent dans le couloir semblait lui répondre. Alba chuchota comme pour répondre à son compagnon.
- Ne pleure pas Jeremiah, ça ne sert à rien. Tout va bien a présent... S'il te plait ne pleure pas.

Pauvre Katie. Chanceuse... au moins elle n'aurait pas à connaître l'Enfer. Et elle n'était pas là pour voir la tristesse de son homme. C'est quelque chose de dur... Alba ne savait pas comment réagir, comment l'aider. Elle sentait la solitude de Jeremiah, mais ne savait pas quoi lui dire. Aucun mot n'aurait pu changer quoique ce soit, aucune parole n'aurait pu le réconforter.

Elle se releva hésita et finit par entrer dans l'appartement à son tour. Elle ramassa la photo dans l'entrée. Elle était jolie... Instinctivement, elle sortit la photo du cadre et la rangea dans sa poche. Il en aurait peut être besoin? Elle avança ensuite dans la cuisine. Le frigo était ouvert, et l'eau avait recouvert le sol. Elle prit une bouteille de lait et en but une gorgée avant de la reposer sur le sol. Alors seulement, elle se dirigea vers la chambre et s'appuya à l'encadrement de la porte. Elle retira son sac à dos et le posa à ses pieds.

Que faire à part attendre? Eviter tout pétage de plomb... Eviter une bêtise... Eviter l'irréparable.

Même s'il venait à y réfléchir plus tard, il ne saurait jamais vraiment ce qui l'avait fait bougé de là, ce qui l'avait poussé à se reprendre. Le souvenir de Katie qui n'aurait pas aimé le voir abandonner ? L'instint de survie ? La présence d'Alba ? Peut-être un peu de tout ça.

Il se leva et essuya ses paumes pleines d'éclats de verre sur son pantalon. ça piquait mais il s'en fichait. Son sang se mêlait à celui de Katie. Il avait refoulé ses larmes et il n'y en avait plus traces dans ses yeux bleus acier. Il n'avait pas le droit de pleurer. Pour Katie, qu'il avait laissée mourir seule. Pour Alba, qui avait besoin de lui. Se raccrocher à la jeune femme, voilà qui était raisonnable. Ils étaient les seuls vivants dans le coin. Elle avait besoin de lui pour essayer de s'en sortir. Il l'aiderait du mieux qu'il le pourrait et ensuite... ensuite il aurait le temps de se laisser aller à sa peine.
Il s'occupa de Katie sans sciller. Il ne pouvait pas la laisser dans cet état, il lui devait au moins ça. Il crut plusieurs fois que ses nerfs allaient lâcher mais il réussit à se dominer. Il croisa les mains de Katie sur son ventre mais ne regarda plus son visage. Il préférait garder le souvenir d'elle en vie, tout sourire, plutôt que celui ci, même s'il se doutait qu'il viendrait le hanter le restant de sa vie.
Il alla la recouvrir d'un drap quand il avisa son poing fermé. Il hésita un instant puis essaya de l'ouvrir. Ce n'était pas facile mais il y parvint.

Alba s'approcha de lui.
Elle voulais l'aider en silence à entamer un deuil qui serait difficile. C'est alors qu'elle le vit affairé.

Il lisait et relisait cette lettre sans comprendre. Qui était ce type ? Katie n'en avait jamais parlé. Il savait qu'elle avait eu d'autres mecs avant lui mais jamais elle n'avait évoqué qui que ce soit qui soit dans sa vie alors qu'ils avaient commençé à flirter.
Il froissa la lettre et son regard bleu s'éclaira de rage. Contre lui, contre la situation, contre la mort de Katie, contre cet Adam qu'il ne connaissait pas ! Il donna un coup de pied dans une chaise déjà cassée et l'envoya valdinguer à travers la pièce tout en balançant la lettre au sol.
Il passa devant Alba sans la voir et frappa la porte branlante de la chambre de son poing. Il en envoya un deuxième, puis un troisième, les dents serrées à se les faire crisser.

- On s'en va, dit il, la voix rauque de colère.

Il déguerpit sans attendre. Il ne voulait plus rester ici.

- Attend!

Elle ne fit pas attention à la lettre. Elle s'occupa du corps de Katie. Elle fouilla dans son sac à la recherche d'une pièce qu'elle lui mit dans la bouche.
- Pour le passeur ma belle. Avec ça il sera gentil avec toi.

Alba caressa les cheveux de Katie. Une belle chevelure longue comme elle aura aimé en avoir. Elle sourit au cadavre. Pauvre fille... Pauvre Jeremiah! Il ne l'acceptait pas... Il fallait qu'elle le soutienne désormais. Il aurait besoin d'elle.
Elle recouvrit le corps d'un drap. Il faudrait qu'elle revienne pour lui offrir une sépulture descente. Elle se sentait investi de cette mission. Libérer l'esprit et l'âme de cette jeune femme. Mais pourquoi elle plus qu'une autre? Parce qu'elle était attachée à Jeremiah? Tous méritaient d'être enterré autant que Katie. Elle soupira.

Alba fit le tour de la chambre, coquette et simple à la fois. Elle eut honte de ce qu'elle allait faire. En faisant le tour de ses placards, elle trouva quelques vêtements à sa taille qu'elle fourra dans son sac. Elle prit aussi quelque produit de toilette avant de sortir.
Un dernier regard sur la chambre et elle rejoignit Jeremiah.
- Jeremiah... Attend moi!

Il avait déjà descendu les escaliers sans attendre, frappant encore une porte au passage. Il avait envie de hurler. Peu importe cette lettre en vérité, il avait mal à en crever parce qu'elle était morte ! Parce qu'elle était morte sans savoir qu'il l'aimait !
Il fila à sa moto et démarra le moteur, le regard fixé dans la lumière du phare qui l'éblouissait, attendant qu'Alba le rejoigne.

Alba entendit le moteur et pressa le pas. Elle arriva essoufflée derrière lui et se mit devant la moto.
- Attend moi... tu ne peux pas la laisser comme ça. Je sais ce que tu ressens... enfin non je ne peux pas savoir, mais je peux comprendre. Mais ne te détruit pas. Elle ne l'aurait pas voulu.

Elle se sentait maladroite, elle avait peur de dire une bêtise.

Elle s'approcha de lui.
- On a pas de bol tous les deux. Toi encore moins que moi. Mais faut qu'on tienne le coup, si on veut s'en sortir. On a pas le choix, c'est ça ou se laissait mourir devant leur cadavre. J'aurais aimé que Katie puisse te parler pour te le dire.

Alba leva les yeux et regarda vers la fenêtre de la chambre de Katie. Elle eut l'impression de voir une silhouette féminine. Elle cligna des yeux et la silhouette était toujours là. Non, elle était trop fatiguée. Elle détourna le regard.
- Je suis là... appuie-toi sur moi. Je vais prendre sur moi comme tu l'as fait cet après midi.

Il ne la regardait toujours pas. Les mots restaient coincés dans sa gorge par sa colère et sa tristesse infinie. Pourtant, il avait entendu chaque mot, perçu le sens de ce qu'elle cherchait à lui dire.

- Grimpe, dit il simplement d'un ton assez froid. Laisse tomber et grimpe.

Il n'y avait plus rien de vivant dans cette putain de ville ! Il était vain de penser trouver des secours, d'autres survivants. Il n'avait même plus l'espoir de croire que cette catastrophe n'avait touché qu'Epsilon. Le monde était soudain très noir, aussi noir qu'un gouffre sans fond. C'était devenu un monde de cauchemar où les jolies filles mouraient sans savoir qu'on les aimait. Il avait un gout amer dans la bouche et avait l'impression de ne plus rien ressentir. Comme si ses émotions s'étaient mises sur pause au moment où il avait compris que Katie était morte.
Il rangea la béquille de la moto pour faire comprendre à Alba qu'ils partaient.

- Dépêches toi, dit il d'une voix morne.

Alba fronça les sourcils.
- Pas avant que tu te calmes. Descend toi. Tel que tu es parti, j'ai peur que tu fasses une bêtise et je suis pas prête à rejoindre Katie tout de suite... Désolée.

Elle se rendit compte à quel point ses mots venaient d'être dur. Mais que pouvait-elle faire. Il était hors de lui et il était hors de question qu'ils repartent dans ses conditions. Il ne bougeait toujours pas.
- Moi aussi j'ai les nerfs. J'ai peut être moins à perdre, mais je suis morte de trouille, alors écoute-moi maintenant et descend. Coupe le moteur!

Elle saisit son bras et le tira pour le faire céder.
Elle le secoua le plus fort qu'elle put !

Il leva les yeux vers elle et, cette fois, il n'y avait aucune sollicitude ni gentillesse. C'était un regard froid et distant. Il ne coupa pas le moteur mais descendit de sa moto. Il était plus grand qu'elle et la toisait de toute sa hauteur. Il était impressionnant ainsi.

- J'ai pas l'intention de me foutre en l'air si c'est ça qui t'inquiète. Alors maintenant tu grimpes !

Il lui prit le bras sans aucune douceur mais sans trop serrer et fit mine de la pousser vers la moto.

- Je veux qu'on foute le camp d'ici et maintenant !