Bric-a-Brac [Debut El Vengador/Carla Jean Mayer]

1er octobre - 16h

Un château de carte fait de bric et de broc s’était effondré sur lui. Sous les gravas les plus divers, il reprit conscience. La couverture bien qu’usée était restée suffisamment épaisse pour le protéger. De toute façon la quantité de matériaux qui venait de tomber n’était pas assez importante pour l’ensevelir. Les plus grand danger serait sûrement de chopper une infection à cause d’une écharde ou d’un vieux clou rouillé. Il était persuadé que de l’extérieur, personne ne remarquerait la différence, Hope Town étant un bordel sans nom à des lieux à la ronde. Encore groggy, Matthieu se releva péniblement.

Mathilda ? Parle-moi. Que voulais tu dire ? MATHILDA !

Il était plus abasourdit par l’énigme qu’elle lui avait susurré que par le tremblement de terre. Mais il avait beau l’appeler, Mathilda ne répondait pas. Le soleil entrait de plein pied par l’ouverture béante qui faisait maintenant office de toit. Matthieu n’était plus sorti en plein jour depuis un bail, et même en se forçant, il avait grande peine à garder les yeux ouverts. Il distingua malgré tout le plateau repas que Magda lui avait porté plus tôt. Il n’avait pas souffert. Il restait fièrement au milieu de la pièce, entouré par quelques débris. Pas le choix, il faudrait réparer pour pouvoir à nouveau s’enfermer dans son monastère de fortune. Et qui dit travail, dit efforts. A tâtons, il récupéra son assiette, tout en continuant de gémir après Mathilda.

S’il te plaît, dis-moi. Savais-tu ce qui allait se passer ? Tu voulais me prévenir, c’est ça ? Mathilda…

Un bruissement d’eau attira son attention. Ce son ne lui était pas étranger. Ce qui l’était plus en revanche c’est le reste du brouhaha habituel qui brillait par son absence. Hormis ce clapotis, rien. Pas d’enfant qui joue, pas de parents qui se disputent, pas de vieux tacots, pas d’aboiements…

1er octobre – 20h

Au milieu d’un champ de ruines, un mort-vivant déambulait. Mais à la différence des films à succès, ce zombie là semblait bien plus frais et présentable que les autres humains alentours, tous réduit à l’état de cadavres plus ou moins endommagés. Ici on voyait un enfant, son ballon serré tout contre lui, comme surpris par la faucheuse dans ses activités ludiques quotidiennes, tantôt on découvrait un artisan dont la tête avait littéralement explosée pour se répandre sur la plaque de métal qui lui servait d’enseigne.

Matthieu parcourait doucement chaque recoin d’Hope Town. La désolation ne le terrifiait plus. Il s’était déjà insensibilisé. Ses sentiments envers les humains avaient disparus en même temps que son goût pour la vie. Finalement « Matthieu » n’existait plus depuis longtemps, et El Vengador était un mythe, cette situation n’était donc pas si différente de l’avant catastrophe. Il n’était personne. Il y avait une différence cependant, et de taille : Mathilda qui ne lui accordait toujours aucune réponse. Il gémissait intérieurement de cette situation personnelle plus que du désastre qui l’entourait. Cette voix était la seule chose qui le maintenait en vie. Si elle s’absentait trop longtemps, il finirait par rejoindre de lui-même tous ces gens.

-BANG-

Un coup de feu retentit. Le son se propagea et les échos rebondirent en tous sens. Le désormais silencieux « faubourg de l’espoir » était une devenu une véritable caisse de résonance. Les réflexes du Vengador réapparurent très vite. La nuit tombante lui facilitait la tâche, lui permettant de mieux reconnaître les allées et bâtiments, malgré la déflagration. Les incendies remplaçaient avantageusement les habituels bidons et phares de voiture. Il était désormais dans son élément, abandonnant là son vêtement de dessus pour trouver la source de cette détonation. Laissant apparaître ces bras scarifiés de façon frénétique par le symbole de la malédiction…

Il eut en les voyant un souvenir de cette époque où il venait de perdre Mathilda. Au bord de la folie, il avait reproduit ce motif sur sa chair. Avant qu’elle ne lui parle à nouveau. Ce n’était donc pas la première fois qu’il se retrouvait « seul ». Cette pensée lui rendit l’espoir qu’à nouveau, elle viendrait à lui, d’une façon ou d’une autre.

2 octobre – 10h

Il avait suivit les indices et son intuitions jusqu’à les trouver. Là une queue de chat tranchée, ici des débris déplacés. Matthieu n’avait jamais appris à traquer quoi que soit, cela lui était venu naturellement alors qu’il cherchait les coupables… ces victimes. Ceux qui tuaient par plaisir machiste ou a cause de la couleur de votre bandana. Ceux qui avaient tué la personne qu’il ne fallait pas. Ceux qui étaient mort à présent en juste châtiment, sous les coups du Vengador suivant l’ordre de sa voix.

Ces gens là, n’avaient rien de commun avec cela. Ils n’étaient pas du bidonville. Matthieu les avait longtemps observé depuis leur arrivée dans leur « hôtel » improvisé jusqu’à leur remise en route. Mais durant tout ce temps il n’avait jamais trahit sa présence. La seule raison qui l’avait retenu d’aller subtiliser leurs armes et la présence de cette fillette, que les deux adultes semblaient vouloir protéger.

La nuit de repos avait éveillé les sens du borgne. Son agitation montrait qu’il « ressentait » la proximité de son observateur. Il était temps pour Matthieu de s’éloigner et de laisser ces gens s’occuper seul de leur survie, satisfait de voir qu’il existait encore des gens près à s’entraider. Juste avant de partir, un rire chaleureux déchira le silence morbide. L’enfant jouait avec une boule de poil bien loin de son habitat.

Sur le chemin qui le ramenait « chez lui » :

[Elle est entre de bonnes mains… mais d’autres auront bientôt besoin de toi]

Elle ne l’avait pas abandonné ! En entendant Mathilda, il tomba à genoux et pleura sincèrement, ces épaules soulagées du poids de milles et un mondes.

2 octobre – 14h

Après ces retrouvailles, il s’était empressé de lui raconter ce qui s’était passé. De son côté Mathilda refusait de lui dire ce qu’elle savait exactement. Se bornant à lui dire que sa vengeance était terminée, qu’il allait lui falloir se reconstruire en même temps que cette ville, ce pays… mais qu’il devrait maintenant le faire sans elle. C’est lui qui maintenant devrait servir de guide à quelqu’un. Une sorte de passage de relais.

D’abord profondément attristé par cette nouvelle, il acquiesça finalement. Elle avait toujours su ce qui était le mieux pour lui. Il lui faisait entièrement confiance. Le changement ne serait pas facile, mais il ferait de son mieux. La nouvelle mission qui l’attendait devait certainement être suffisamment enrichissante pour lui permettre de redevenir « quelqu’un ». Son deuil devait prendre fin ce jour. Mathilda ne lui laissait guère le choix. Une fois encore elle lui interdisait de mourir.

Après avoir quitté ces visiteurs, il avait vite rejoint son cabanon. Il avait pioché généreusement dans les réserves de Magda pour ce confectionner un repas plus solide qu’à l’accoutumée – quoique pauvre malgré tout – et lui donna dans la foulée une sépulture descente, sous des gravas. Après avoir pris les quelques vivres restants, de l’eau non souillée et des vêtements « propres », il s’apprêtait à partir dans la direction qu’elle lui indiquerait…

2 octobre - 15h30

La jeune femme marchait lentement, trainant les pieds, la tête basse. Ses cheveux roux, raides, lui cachait le visage. Elle tenait ses bras serrés autour d'elle, comme si elle cherchait à se réchauffer d'un froid qui ne voulait pas la quitter.
Elle avançait sans but parmi les décombres et les cadavres. Ses joues grises de poussière étaient sillonnées par les traces de ses larmes, désormais séchées. Elle ne se souvenait pourtant pas avoir pleuré. Ni hurler. Elle ne se rappelait même pas s'être réveillée ni être sortie de la clinique, ni même ce qu'elle faisait là. Elle était en état de choc, tremblante de tous ses membres, épuisée.

Elle trébucha et cria de peur autant que de douleur quand elle se rattrapa à une voiture. Elle tomba à genoux par terre. Sa main lui faisait mal. Elle regarda sans comprendre le sang qui coulait de la grande estafilade qui lui barrait la paume. Elle avait vu tellement de sang depuis... depuis quand au juste ? Tenant sa main blessée, elle se releva tant bien que mal mais ses jambes refusèrent de la porter plus longtemps et elle retomba à genoux quelques mètres plus loin.
Sa main valide se porta à son ventre. Un pâle sourire éclaira son visage quand elle sentit un bref mouvement. Il était toujours vivant. C'était la seule chose qui comptait non ?
La blessure l'élançait et elle serra les dents. La tête toujours baissée vers son ventre, elle se mit à chantonner doucement. Une berceuse. Parce qu'il fallait se rendormir n'est ce pas ? Sinon, comment sortir de ce cauchemar ?

Alors que Carla chantonnait encore, il s’était approché sans aucun bruit et se tenait maintenant face à elle, à quelques mètres à peine. L’observant calmement, la tête légèrement penchée sur le côté. Une expression neutre sur le visage. De sa voix malhabile pour le chant – ce que l’usage restreint pendant son isolement n’avait pas amélioré – il entreprit de chantonner doucement mais à l’unisson cet air qu’il connaissait, signalant ainsi sa présence de la façon la moins brusque possible.

Elle mit quelques minutes à se rendre compte qu'elle n'était plus seule à chantonner. La berceuse s'arrêta net alors qu'elle rouvrait les yeux, le coeur s'emballant de terreur. A travers le rideau de ses cheveux, la tête toujours baissée, elle essaya d'apercevoir quelque chose. Il y avait une silhouette debout devant elle !
Machinalement, elle redressa la tête pour regarder l'inconnu qui se tenait là, à la regarder. Un instant, son visage fut figé par la peur. Devait elle crier ? Qui l'entendrait de toute façon ?
Elle essaya de se relever mais sans succès. La bouche tremblante, elle s'assit et se mit à reculer sur ses fesses, tout doucement, sans faire attention à sa main blessée qui raclait sur le bitume. Elle ne quittait pas des yeux l'inquiétant personnage et espérait encore qu'il allait la laisser tranquille.

Un instant, à l'image de cette femme qui reculait en rampant se superposa celle de son dernier forfait... la position et la peur qu'on lisait dans le regard étaient les même. Il ferma les yeux, pris une inspiration, les ouvrit à nouveau. Il força un air sympathique, même s'il compris à cet instant que ces cheveux longs et poisseux et sa barbe peu entretenue ne l'aiderait pas sur ce point.

Mais c'est Mathilda qui l'avait guidé ici. Elle savait qu'il y trouverait l'âme qui avait besoin de lui. Mais pourquoi elle ? Pourquoi une femme enceinte ? Qu'avait-elle de spécial pour que Mathilda l'ait choisi ? Il savait déjà qu'elle n'était pas la seule survivante, alors pourquoi ne pouvait-elle être secouru par un autre comme la fillette de ce matin ?

Pour montrer ces bonnes intentions, il ouvrit son sac et en sorti une petite bouteille plastique remplie d'eau. Et ajouta d'une voix étranglée par cette soudaine reprise de ces relations sociales :

- Tenez... elle est potable. Cela vous fera du bien.

Et après avoir remarqué le sang sur ces mains, maladroitement :

- Il faudrait vous soigner aussi. Ici ce n'est pas très propre.

Carla Jean sentit son coeur s'emballer de plus belle lorsqu'elle le vit farfouiller dans son sac.

- Pourvu que ce ne soit pas une arme ! Pourvu que ce ne soit pas une arme ! priait-elle en murmurant tout bas pour qu'il ne l'entende pas.

Elle continua à reculer tout doucement. Elle essayait de se mettre à l'abri, derrière une voiture peut être ? Et après ? Après, elle se relèverait et tenterait de courir.

- Tenez... elle est potable. Cela vous fera du bien.

Elle poussa un petit cri et sursauta en entendant la voix rocailleuse. Elle ne s'était pas attendue à l'entendre parler, presque comme si elle avait cru qu'il n'était qu'une hallucination.

- Il faudrait vous soigner aussi. Ici ce n'est pas très propre.

Là, ce fut trop et elle se stoppa net. Ce type était bizarre. Pourquoi s'inquiétait-il d'elle ? Non, il était trop gentil pour être honnête !

- Laissez moi tranquille, dit elle d'une voix étranglée par la peur. Allez vous en ! Je n'ai rien à vous donner ! Je n'ai pas d'argent ! Allez vous en !

Elle sentait la crise de nerfs qui arrivait. Elle en avait eu tellement les premiers mois de sa grossesse ! Il faut dire que ce qui s'était passé entre Eric et Nathalie n'avait pas arrangé les bouleversements dus aux hormones. Et la situation actuelle était 10 fois, voire 100 fois pire !

- Allez vous en ! Laissez nous tranquille ! continua-t-elle, une pointe d'hystérie dans la voix.

- Allez vous en ! Laissez nous tranquille !

Le premier contact n'était pas des plus réussit. Il poussa un soupir, posa la bouteille au sol, ainsi qu'un petit chiffon, puis se redressa, une idée en tête.

J'espère que tu sais ce que tu fais sinon Mathilda va te faire passer un sale moment !

- Comme vous le souhaitez... Si vous changez d'avis je ne serais pas loin.

Après un bref instant il ajouta en désignant les cadavres :

- Je vous laisse avec eux, ne vous inquietez pas, ils n'en veulent pas plus que moi à votre argent.

Il endossa son sac, puis repris la route vers les méandres du bidonville.

Un cri de douleur retentit derrière lui. Carla Jean était recroquevillée par terre, tenant son ventre de ses deux mains. Elle serrait les dents mais il était évident qu'elle avait mal.

- Saloperie ! cria-t-elle lorsque la contraction s'arrêta.

Elle haletait, avait du mal à respirer.

Ma vieille, tu vas pas te mettre à faire de l'ashme maintenant ?!

Non. Evidemment que non. C'était la crise de nerfs qui avait induit la contraction qui avait induit...

- Saloperie de saloperie... grimaça-t-elle en tentant de se redresser pour reprendre son souffle.

[Tu ne peux pas la laisser là! Pas dans son état.]

Je n'en ai jamais eu l'intention, je voulais juste la faire réagir. Mais pas comme ça...

Carla n'avait pas encore relevé le nez que Matthieu avait déjà fait demi-tour, récupéré et ouvert la bouteille, versé de l'eau sur le chiffon et s'était assis en tailleur à côté d'elle. Il avait soigneusement plié le bout de tissu pour l'adapter à la largeur de son front.

- Allez vous accepter de me laisser vous aider où vous préférez souffrir "tranquillement" ?

Un ton légèrement réprobateur et paternel marquait sa voix, même si on sentait malgré tout qu'il n'était plus à l'aise depuis longtemps pour la discussion. Pout tout dire, il se surprit d'être si prévenant et calme, surement le fait de savoir que Mathilda était là pour le conseiller à la seconde où il en aurait besoin.

Elle le regarda fixement et hocha la tête. Le regard de cet homme n'avait pas l'air mauvais. Et de toute façon, elle n'avait guère le choix.

- Merci.

Elle prit appui sur les genoux du jeune homme pour se redresser et s'asseoir. Elle prit de grandes inspirations. ça allait beaucoup mieux.

- J'ai des contractions depuis hier. De temps en temps...

Elle jeta un oeil à son nouveau compagnon et le rassura d'un signe de la main.

- Ce n'est pas encore le moment, je vous rassure. Mais si je veux qu'il reste encore un peu là où il est, il va falloir que je me calme un peu. Et pardon pour tout à l'heure. J'ai eu peur, vous comprenez et...

Elle parlait beaucoup et vite. Elle avait toujours fait ça lorsqu'elle était sur les nerfs.

- Je peux avoir de l'eau ? S'il vous plait ? demanda-t-elle avec une tentative de sourire.

Il ne se leva pas et se contenta de tendre d'une main la bouteille, de l'autre le chiffon humide.

- Servez-vous...

Il affichait un sourire léger mais perceptible, symbole de sa "victoire". En y réfléchissant, elle était la première personne avec qui il agissait normalement depuis un an et en plein jour.

Après ces remarques sur les contractions, il avisait du regard le ventre de la jeune femme et du faire un réel effort pour se rappeler les questions routinières qu'on posait dans ces cas la. Parler de ce petit être serait sûrement le meilleur moyen pour elle de se détendre - si toutefois il était désiré.

- Vous pouvez même boire pour deux. Vous avez déjà choisi le prénom ?

[Tu vois ce n'est pas difficile.. Tu es parfait ! Continu.]

Elle partit d'un rire nerveux, s'aspergeant d'eau.

- Pardon...

Elle eut un sourire timide et s'essuya du revers de sa manche. Sa main blessée lui tira une grimace.

- Je ne sais pas... J'ai quelques idées, oui.

Elle soupira et regarda le jeune homme.

- Il était prévu que je sache aujourd'hui si c'était une fille ou un garçon. Mais ce merdier... pardon... cette "chose", corrigea-t-elle en agitant les bras en montrant le désastre autour d'eux, est arrivée avant que le médecin...

Pour la première fois, elle regarda autour d'eux. Elle ne connaissait pas cette rue...

- Où est-ce que je suis exactement ? Et quel jour on est ?

Elle avait soudain un affreux doute sur la date. Elle ne se souvenait pas avoir quitté la clinique, ni d'avoir marché et pourtant, elle était bien là, au milieu de nulle part.

Il eu l'air étonné. Pour quelqu'un d'Epsylon la réponse devait être évidente, des quartiers comme celui-là il n'y en avait qu'un.

- Vous êtes en plein coeur d'Hope Town. Mais son dernier battement a eu lieu hier. Vous vous souvenez de ce qui s'est passé hier ?

Son attention s'était à présent portée sur ces mains. Il faudra vraiment penser à soigner ces coupures même minimes avant qu'elles ne s'infectent. Hope Town était loin d'être un environnement stérile. Les gosses du coin ne tombaient pas plus souvent malade - l'habitude - mais pour une étrangère dans son état...

- Hi... Hier ? Hope Town ?

La panique se lut soudain sur son visage fatigué. Elle ferma les yeux et prit de grandes inspirations rapprochées. Elle serra la machoire et réfléchit.

- J'ai beaucoup marché on dirait, dit elle en rouvrant les yeux pour adresser un sourire timide à son nouveau compagnon d'infortune. C'était hier, mon rendez vous... Et vous savez quoi ?

Elle recommençait à parler rapidement.

- Je ne me rappelle absolument pas comment je suis arrivée ici ! La clinique... La clinique est près du stade... ça fait pas mal de kilomètres d'ici, ça, non ? Je ne me souviens même pas en être partie ! Oh mon dieu !

Elle reprit une gorgée d'eau pour tenter de se calmer.

- Et c'est comme ça partout ? demanda-t-elle avec un étranglement dans la voix. Tout est détruit comme ici ?

Elle essayait de se souvenir et, à vrai dire, ce n'était pas brillant.

Il balaya du regard les environs.

- Partout ? C'est Hope Town, ça a toujours été comme ça. Même avant. Ailleurs... je ne sais pas.

Il prit un air pensif. Son calme contrebalançait avec la panique affichée de Carla.

[Crois-tu qu'elle ait marché toute la nuit ? Un peu de repos lui ferait du bien. Tu as réparé ton abri n'est-ce-pas ?]
Elle n'est pas d'Hope Town et même si à l'air perdue qu'aurait elle a faire d'un trou à rat ? J'ai été vers elle a ta demande mais ce dont elle a besoin c'est surtout de soins et de confort. Deux choses que je ne peux pas lui offrir ici.
[Tu es sûr de ne pas avoir plutôt peur qu'elle sache qui tu es ? Ne t'en soucis plus. Matt n'existe plus. Et à présent Vengador non plus. Tu peux devenir celui que tu souhaites. Et quand à son confort je te promets que nous... non, que TU feras mieux bientôt.]

Il baissa la tête et poussa un soupir.

- Oui la clinique est assez loin. Une halte vous fera sûrement du bien.

- Hope Town... répéta-t-elle comme si elle n'y croyait pas.

Elle essayait de rassembler ses souvenirs mais c'était le black out total. Elle se rappelait bien être allée à la clinique, avoir du attendre plus que nécessaire parce qu'elle avait oublié de boire pour l'écho, elle était presque certaine d'avoir vu le médecin mais après... plus rien.
En revanche, ce qu'elle voyait autour d'elle lui filait la chair de poule.

- Il y a toujours autant de morts ici ?

Elle désigna du menton les cadavres qu'elle voyait dans les véhicules environnants.

Pour tout ces gens, Matthieu était déjà mort - en quelque sorte - il y a un an. La situation s'était inversée. Pourtant décédés ou en vie, cette population n'en était pas moins inexistante pour le reste du monde.

- Non.

La réponse était simple. Mais claire. Il se releva enfin.

- Si vous avez la force de marcher encore un peu, j'ai un endroit ou je pourrais soigner votre blessure. En attendant de pouvoir retourner à l'hôpital. Si vous voulez y aller.

Elle hocha la tête.

- D'accord.

Elle regarda sa main blessée et fit la moue. ça faisait mal... Elle leva la tête vers lui.

- ça vous gêne de m'aider à me relever ?

Elle tendit sa main valide.

- Je m'appelle Carla Jean.

Il la regarda fixement un instant.

[Qu'attends tu ? N'ais pas peur.]
Ce n'est pas vraiment de la peur.

Il lui fallait juste du temps pour se réhabituer à avoir des contacts avec les autres. Cela lui demandait déjà des efforts soutenus pour lui parler. Et le fait de l'emmener avec lui le mettait déjà mal à l'aise avant même de partir.

Il essaya de ne pas trembler et lui saisi enfin la main.

- Je... je n'ai pas...

["Je n'ai pas vraiment de nom", c'est ça que tu comptes lui dire ?]
Je croyais que "Matthieu" n'existait plus ?
[Trouves un autre prénom si tu préfères, quelle importance ? Elle ne connait pas tes antécédents, pour elle tu es "quelqu'un". Elle a besoin de mettre un nom sur ton visage.]

Il ne se sentait pas le courage de lui mentir. Si Mathilda voulait sincèrement qu'il prenne soin de Carla, elle finirait bien par découvrir un jour son identité, d'une façon ou d'une autre. Alors autant donner de suite la version officielle.

- Vous pouvez m'appeler Matthieu.

Elle lui offrit un sourire sincère. Elle voyait bien qu'il était mal à l'aise. Peut-être n'avait-il pas l'habitude des gens ? Après tout, il avait plutôt l'air de sortir d'une grotte, tel un animal sauvage...

- C'est très joli, Matthieu, dit elle en se relevant dans un effort qui lui tira un soupir.

Elle essuya la poussière de sa salopette et s'arrêta en plein geste. Elle avait l'air perplexe.

- Ce ne sont ni mes chaussures ni ma salopette...

Elle regarda Matthieu comme s'il pouvait répondre à ses interrogations.

- Je ne comprends pas...

Elle sentait la crise de nerfs revenir. Elle ferma les yeux, mit ses mains en coupe devant son nez et sa bouche et prit de grandes inspirations pour se calmer. Mille et une questions se bousculaient dans sa tête : pourquoi portait-elle des vêtements ne lui appartenant pas ? pourquoi n'arrivait-elle pas à se souvenir de ce qui s'était passé ? comment était elle arrivée là ?
Les larmes lui montaient aux yeux alors qu'elle s'interrogeait, desespérant d'avoir des réponses.

Il ne savait quoi lui dire. Cette histoire de vêtement était sans doute la dernière chose à laquelle il s'attendait.

[Qu'elle ne s'inquiète pas pour ça. Ne la laisse pas craquer maintenant elle n'est pas prête à accepter tout ça.]

Mais obtenir les aveux de quelqu'un était tellement plus facile que de le rassurer. C'est en songeant à cela qu'il s'aperçu à quel point il avait changé en un an. Le jeune homme intrépide et insouciant était devenu un solitaire las de vivre. Mais il fallait à présent faire le chemin inverse pour sortir de l'ombre, de cette vie associale.

Il se souvint alors de ces petits moment passés où ces yeux clairs suffisaient à faire passer n'importe quel message. Si son âme avait changée, son regard lui restait le même. L'effet devrait l'être aussi, n'est-ce-pas ?

- Ce n'est rien. Je suis sûr que votre mémoire reviendra. Regardez-moi.

Il attendit que son regard croise le sien et répéta doucement :

- Ce n'est rien...