Jaguar Noir

3 Octobre – 17 H10


La jeep se jouait des cahots de l’asphalte, et slalomait sans mal entre les restes de la cité.

Alvarez roulait cheveux au vent ; et Juan à ses côtés feuilletait le livre d’Angelyne Guerraband.



- « Ecoute ça… Dans le bouquin, Sarah Jane est au Yucatan, en 94. La tequila coule à flots.
Pour échapper à son désoeuvrement moral et sentimental, elle se prend d’intérêt pour une nouvelle découverte archéologique, non loin de Valladolid où elle a pris ses quartiers.

C’est la cité d’ Ek’Balam, le "Jaguar Noir". Et on y trouve un crâne de crystal, d’une valeur inestimable, un de ces crânes mystérieux que la science n’arrive pas à expliquer.
Un soir peu après, le chef d’expédition est tué sur le site encore en défrichage, par un jaguar sorti de la forêt.


Tu vas me dire, on dirait ces vieilles histoires de malédiction de la momie…
Le plus marrant, c’est que j’ai fait partie du groupe qui a guidé les archéologues sur ce site !
J’avais que dix-sept ans, mais normal, c’est juste à côté chez moi ! On allait souvent dans la jungle, avec les potes. C’est comme ça qu’on a trouvé la cité, dont les anciens du coin avaient entendu parlé.
Et c’est vrai qu’un contremaître a été tué par un jaguar… En même temps ça m’étonne pas, ce type était vraiment un salopard… »



Il reprit sa lecture en diagonale.

- « Dans l’histoire, l’héroïne se lie d’amitié avec le jeune guide. Mais après la mort du chef d’expédition, il décide de s’enfuir avec le crâne, pour le revendre à un bon prix.
Sarah Jane part à sa recherche, pour lui éviter la prison, et aussi parce qu’elle croit en lui.
Elle finit par découvrir que le garçon a vendu l’objet pour payer les frais de santé de sa sœur, hospitalisée.
Blessée au combat, soignée, complications, fausse couche, dépression, internement… la totale, quoi !
Ils veulent porter plainte et c’est la clinique qui porte plainte contre eux. La police les recherche…
Bref, ils ont les mêmes ennuis que ma sœur et moi !

Ensuite, l’histoire semble diverger de la nôtre… Heureusement, parce que la sœur entre dans une secte, et que le guide est jeté en prison ! En plus, on lui colle sur le dos le meurtre de l’archéologue, et il finit exécuté… sympa !

A la fin, grâce à un copain du gars, Sarah Jane découvre que c’est le propriétaire des cliniques qui a acheté le crâne, le professeur Beaumal.
Mais pour lui aussi, les choses tournent mal au Mexique.
Quand son associé le docteur Queens est assassiné par sa propre fille Carrie, il a l’opportunité de reprendre les affaires en Europe.

C’est là-bas que Sarah et son nouvel ami mexicain le suivront, à la poursuite du crâne, dans… "L’Appétit du Serpent".

Alors ? Qu’est-ce t’en penses ?
Content d’avoir économisé… - combien ? – ah, quinze euros quand même ! »

C’est en approchant de chez Gaëlle/Angelyne qu’ils entendirent éclater les coups de feu.
Des tirs de pistolet, auquel répondirent des rafales d’automatique.
L’échange durait encore quand ils atteignirent l’immeuble.

Tout en conduisant, Alvarez écoutait l'histoire en souriant.
Dès qu'il entendit les coups de feu, Alvarez stoppa la voiture en la garant sur le côté, n'importe où mais loin des coups de feu.
Après intimé à Juan de descendre du véhicule, il rasa les murs afin d'observer.

Les coups de feu venaient ils du même bâtiment ? Étaient-ils tirés de chaque côté de la route ?
Y avait il des cris ?
Était-ce loin ?
Pouvait il se rapprocher discrètement sans s'exposer ?
En regardant avec les jumelles, pouvait il apercevoir l'un des belligérants ?

Les tirs avaient lieu dans l’immeuble où ils se rendaient. A en juger par l’écho, probablement dans la cage d’escalier.
Les coups de feu étaient peu nourris ; il ne devait pas y avoir beaucoup de combattants.
Et aucun cri ne se faisait entendre. C’était un échange froid et déterminé. Pas des gens qui tirent en l’air pour se défouler.

Mais impossible de voir quoi que ce soit d’en bas. Pour en savoir plus, il allait falloir monter dans les étages. Avec les risques que cela comportait…

Alvarez étouffa un juron. L'incident d'il y a quelques jours semblait avoir tué ou fiat disparaitre pas mal de monde et il fallait que les seules personnes qu'il croise, hormis Juan, fussent soit des taulards sur-excités, soit deux fous s'entretuant. La chance était décidément pas de son côté.

Soit ils allaient devoir attendre, soit il allait leur falloir intervenir... Mais ça sentait pas bon du tout. Garuda, le journaliste étaient morts proprement, assassiné. Il y avait des chances qu'un tueur tente de venir à bout d'Angelyne. A moins que, l'arme automatique ne soit le fusil du militaire.

Juan et Alvarez avaient l'air malin avec leur fusil soporifique, leur fusée de détresse et leurs machettes.
Il leur fallait néanmoins avancer. Alvarez prit conseil auprès de Juan, lui demandant s'il était habitué à tirer au fusil.
Ensuite, ils se rapprochèrent, regardant en avançant s'il n'y avait pas une issue de secours ou moyen de passer par une fenêtre.

- « Moui, j’ai déjà un peu chassé ; mais j’ai rien d’un tireur d’élite non plus. Enfin à courte portée, ça devrait aller… »

Il essayait de s’en convaincre, pour se donner du courage, même si au fond il craignait de se prendre une balle juste après.

Le combat devait avoir lieu à un étage pas trop élevé.
Il n’y avait pas d’autre issue visible, mais certaines fenêtres étaient ouvertes. Le problème, c’est qu’elles étaient bien hautes… au moins à six ou sept mètres du sol pour la première.

Facile pour un spécialiste de la varappe, très difficile pour un humain normal…

Alvarez hésita un instant puis murmura à Juan.

"Soit on se barre, soit on tente le coup.
Il y a de forte chance pour que l'assaillant soit dans les marches et que la nana soit assiégée dans son appart.
Si on arrive à se rapprocher discretos, on endort le type puis on le ligote et on peut ensuite le cuisiner pépère.

On peut aussi se barrer si tu juges tout ça trop dangereux."

- « Non non, ça me paraît un bon plan… si on réussit. Le tout c’est d’arriver sans être repéré en premier, sinon… on fera pas les fiers devant son arme ! En plus, il pourrait tirer avant de tomber.

Bon. Disons qu’il est dans l’escalier, dans les premiers étages ; ça doit être ça. De sa position il doit couvrir l’appart qu’il vise, donc le couloir.
Soit il est sur les marches qui arrivent à l’étage, et il aura peut-être le dos tourné – soit il est sur celles qui montent au dessus, et il nous verra arriver… C’est chaud, quoi.

Mais on tente si tu veux, à moins que t’aies une idée ? »

"Nan nan, ça me va, c'est ce que j'avais en tête.
Faut juste pas le rater avec la fléchette. Cette connerie doit assommer un ours ! Ça devrait faire effet sans problème.
Juste après avoir tiré, on se barre vite fait ! "

A pas de loup, Alvarze pénétra dans le bâtiment.

Juan épaula son arme et le suivit, aussi silencieux que possible. Les tirs étaient plus sporadiques maintenant.
Les boîtes aux lettres dans l’entrée portaient le nom et l’étage des occupants. - Guerraband : 2e.

Personne au premier. Cela venait bien d’au-dessus.
On voyait effectivement les portes, du haut, ou du bas des marches.

Mais en s’engageant vers le deuxième étage, Alvarez constata d’un coup d’œil rapide que cet escalier était vide.
Et chaque coup de feu leur agressait les tympans. Il était tout proche.

A présent, s’ils continuaient de monter, leur cible risquait fort de les voir venir !

S'il n'était pas possible de monter par les marches, ils allaient donc devoir ruser. Comment pouvait-il faire diversion, sans se faire descendre, afin que Juan puisse tirer ?
De toute façon, il avait peu de solutions:
- soit ils y allaient au culot, en avançant tout doucement jusqu'à apercevoir l'agresseur. En théorie, ce dernier est concentré sur la porte, il devrait donc tirer après eux.
- Réussir à accéder au second étage à partir d'une fenêtre. C'était laborieux mais ça pouvait porter ses fruits. Mais problème, en plus d'escalader il fallait se dépêcher, Guerraband n'allait pas résister des heures à son agresseur.

Il regarda autour de lui, essayant de pénétrer dans l'appartement situé en diagonale de celui de la femme.
Il exposa les deux théories à Juan, rapidement.

Les portes étaient naturellement fermées. Il fallait en défoncer une pour entrer, et ce n’était pas spécialement discret.

- « Mmm, moi la seconde solution me paraît meilleure dans l’absolu ; même si le risque est différent … Une balle ou une chute… Qu’est-ce qui te fait moins peur ? A toi de choisir. »

Toutes ces discussions les retardaient effectivement. Il fallait se décider rapidement, maintenant.
Avancer de face donnerait l’avantage au tireur le plus rapide des deux. Escalader serait plus long, mais plus sûr.

"- Je préfère la solution la plus sur... quitte un perdre un peu de temps. J'ai pas envie de crever sans savoir pourquoi !
Je vais tenter d'escalader ce foutu mur. J'ai pas le vertige, ça devrait aller. Je vais jeter un oeil à la jeep, avec un peu de chance, il y aura une corde."

Alvarez redescendit donc, laissant Juan décide de ce qu'il allait faire.
Il fouilla la voiture puis observa le mur, repérant ce qui allait lui être utile. Il regarda la rue également. Une poubelle pouvait y trainer dont il userait tel un marche pied pour atteindre le premier étage.

Pas de corde. Mais une grande poubelle permit de se rapprocher un peu du but. Il restait encore un bon mètre entre les bras levés d’Alvarez et la première corniche.

La plupart des gens avaient du mal à dépasser un mètre en sautant à pieds joints.
Le soigneur de fauves devait néanmoins s’élancer de son promontoire… Alvarez se jeta en l’air de toutes ses forces…

Et d’une puissante détente, il se retrouva propulsé au premier étage ! Non pas agrippé par les bras, comme il aurait pu s’y attendre, mais les pieds sur la corniche… Il avait fait un bond de trois mètres en hauteur.

Restait à escalader jusqu’à l’étage choisi.
Alvarez réalisa à quel point cet exercice lui était facile. Son emprise était ferme, ses gestes sûrs et précis. Jamais il n’aurait crû pouvoir faire preuve d’autant d’agilité.

D’en bas, Juan laissa échapper un ‘ouah’ admirateur.

- « Euh… Je t’envoie le fusil peut-être ? T’y seras avant moi… »

D'abord surpris, c'est tout sourire qu'Alvarez escalada la façade.
Qu'est ce qu'il se passait ? Le peu de repère qu'il avait disparaissait au fur et à mesure. Mais là, il devait se l'avouer, c'était une surprise plutôt agréable !

Il acquiesça de la tête et reçut le fusil que lui tendit Juan.
Après avoir vérifié l'état du fusil, il pénétra ensuite dans l'appartement, doucement, le plus discrètement possible en essayant de se rapprocher un maximum de la porte d'entrée sans rester juste devant elle.

Vu qu'il y avait eu des échanges de tir, la porte allait bien être trouée et il pourrait viser son ennemi.

Il fallait tout de même ouvrir la porte. Par des trous de cette taille, impossible à la fois de viser et de passer le canon de l’arme dans la bonne direction.
Mais les clés étaient sur la porte, et leur propriétaire mort sur un divan. Heureusement que la fenêtre ouverte aérait un peu l’odeur.

Depuis son escalade, les derniers coups de feu ne provenaient plus que de l’arme automatique. Puis il y eut une accalmie.

Par le judas, Alvarez aperçut une grande silhouette difforme traverser le couloir… Mais pouvait-on faire confiance à un judas ?
Et le tireur fit mouvement vers l’appartement assiégé… Pas de résistance… Il investit les lieux.

Profitant que son adversaire était de dos, Alvarez tourna lentement la clé dans la serrure, appuya doucement sur la poignée de manière l'entrebâiller très légèrement afin d'y glisser le canon de son arme.

Si l'homme est encore en vue, Alvarez presse la détente, sinon il avance avec précaution.

Plus de tirs. Elle devait avoir épuisé ses munitions. Celle-là avait mieux résisté que les autres ; il était temps de lui régler son compte.

Il s’élança, et depuis l’entrée lança une nouvelle rafale à l’aveuglette dans le salon.

Mais Alvarez était parvenu à progresser sans bruit, à pas feutrés, jusqu’à atteindre la porte, derrière lui.

La fléchette le frappa par surprise ! Et l’homme se retourna brusquement pour braquer son canon encore fumant vers Alvarez…

Dès qu'il eut tiré Alvarez plongea afin de se mettre à l'abri d'une possible réplique de la part de l'assaillant.
La fléchette pouvait assommer un cheval, mais elle n'agissait pas instantanément.

La Kalachnikov cracha le feu. Les balles sifflèrent aux oreilles d’Alvarez. Des éclats de bois et de ciment volèrent autour de lui alors qu’il plongeait au sol.

- « Bon sang, mais t’es qui toi ? Tu vas regretter de t’en être mêlé ! »


Il arrosa tant et si bien que son arme finit par cliqueter dans le vide… A terre, Alvarez ne réalisa qu’après l’orage la douleur qui irradiait dans sa hanche…

S’il n’avait bondi aussi vite, certainement que cette balle se serait logée dans sa poitrine !

L’homme voulut tirer son couteau pour achever le travail, mais il se mit à vaciller. Il se rattrapa au mur, secoua la tête un instant… puis s’écroula lourdement au sol.

Alvarez laissa une fois de plus échapper une flopée de jurons. Sa hanche le tiraillait de façon inquiétante. S'allongeant sur le côté, il apposa ses mains sur la blessure afin de faire un point de compression.
Dans son sac, il lui semblait avoir une trousse de secours piquée au zoo. Il appela.

"- Votre agresseur est K.O.
...Aie...
Ne vous inquiétez pas, je ne vous veux aucun mal.
...Aie..."

Alvarez parlait en serrant les dents, la douleur irradiant son bassin. Sans réponse de la femme, il appellerait Juan à la rescousse mais il préférait voir la réaction de la femme avant.

C’était moins grave qu’Alvarez aurait pu le redouter. Pas d’os brisé, ni forte hémorragie. Mais les chairs saignaient malgré tout, le long d’une grande estafilade.
Une balle ou un éclat avait juste déchiré la peau.


D’abord, pas de réponse… Oh mon dieu ! Ils ont tué Angelyne !

Non. Il entendit un gémissement. Une voix faible lui parvint de l’intérieur.

- « A… à l’aide… »

Elle devait être blessée également.

Rien de grave, Alvarez était rassuré. Il se redressa, et avança dans l'appartement. Il ne prévint pas Juan, mieux valait avant tout connaitre les intentions d'Angelyne. Si elle s'avérait hostile, Juan pourrait venir le sortir de ce guêpier.

En se rapprochant du tueur, Alvarez prit son arme.
Continuant d'avancer, il se rendit jusqu'à la femme.

Les murs du salon étaient constellés d’impacts. Un chat était mort sur le divan. Et elle était allongée derrière, dans une flaque de sang.

Angelyne tenait d’une main sa blessure, et étreignait encore son vieux Lüger avec toute l’énergie du désespoir.
La blessure était grave. Elle avait pris deux balles dans l’épaule, et aurait eu besoin des soins d’un professionnel.


- « Aaah… Alors c'est vous mon sauveur ? »

Elle grimaça. Pourvu que l’inconnu ne prenne pas ça pour lui…
C’était la douleur.

- « Vous l’avez eu ? …Faites attention… Il… Il a détruit ma porte. »

Et en se retournant, Alvarez réalisa qu’en fait la porte d’entrée n’était pas juste ouverte… Elle avait tout bonnement disparue !