Essence et Existence

- « Une femme ? Ouais, sûrement… T’as pas idée à quel point… »

Depuis combien de temps n’avait-il pas été aimé ? Cela devait bien faire un siècle ou deux… Quand à l’amour physique, il avait tiré un trait dessus depuis longtemps. Parce qu’à moins de payer, les filles finissaient toujours par le fuir. Il ne savait pas leur parler. Même quand il aimait, quand elle occupait toutes ses pensées, il restait paralysé devant celle qui comptait. Et se jeter à l’eau n’apportait qu’une douche froide ! Tout attirées qu’elles étaient par le grand méchant loup, elles préféraient se détourner de l’agneau bêlant. Montrer les dents n’était pas non plus une solution. Il aimait à rêver d’un amour possible. Mais il se savait condamné à rester seul.
Il fallait bouger, ne serait-ce que pour chasser cette nostalgie, qui le gagnait chaque fois qu’on évoquait le sujet.

Wolf sortit de la voiture pour contempler les dégâts. Côté conducteur, une longue trace noire en creux, là où la glissière avait enfoncé le métal. Côté passager, une vitre avait volé en éclats, et l’aile avant déchirée ne tenait plus que par l’opération du saint Esprit. Le phare gauche, le pare-choc, et les deux rétroviseurs extérieurs avaient disparus.

Il tendit une main vers Cassie :

- « Alors, tu viens ? Tu pourras prendre tout ce que tu veux. »

- hihihi tu apprends vite...

Dire à une femme "Tu pourras prendre tout ce que tu veux" c'était le sésame ouvre-toi de la caverne d'Ali Baba. Cassie ne se fit pas prier pour prendre la main de Wolf en veillant à ce que Tigrou les suive, elle n'avait pas envie de courir après alors que les boutiques l'attendaient, ça non alors, la vie est une succession de priorités et là elles étaient vestimentaires.

- « Alors je compte sur toi. Tu m’apprendras comment parler aux femmes… »

Son sac sur le dos, le fusil à la main et la fillette de l’autre, Wolf se dirigea vers la grande boutique qui jouxtait le stade. C’était l’un de ces supermarchés du sport. Derrière la vitrine brisée, un golfeur, un skieur et un plongeur avec palmes et bouteilles les regardaient s’approcher. Dans l’oeil des mannequins, comme une lueur de soupçon…
Le duo avait l’air déterminé de braqueurs, venus vider les rayons, dans une grande razzia !

- « Bon. Je te suis. Après tout, c’est ton domaine, non ?

Toute une moitié du magasin était consacrée aux fringues. Wolf, pour sa part, lorgnait sur l’autre moitié, celle dédiée aux articles de sport.



Lundi 2 Octobre - 16 Heures [ Face au Stade Olympe ]

Il était amusant, Cassie fouinait dans les vêtements en sortant une science de l'habillement directement issue de sa mère mais elle voyait qu'il trépignait d'impatience à explorer le rayon jouet pour grand.

- Vas-y, on se rejoindra après à la sortie c'est pas comme si je pouvais me perdre dans la foule tu sais.

Il fit un peu semblant d’être désolé de la laisser seule, mais ne se fit pas prier.

- « Bon d’accord. Fais ton choix. Je te retrouve tout à l’heure. »

C’est vrai que le magasin était désert. Il était fermé pendant "l’évènement", ce qui évitait de se retrouver face à une ménagère le nez dans son caddy… Non pas qu’Alice soit du genre à se laisser traumatiser… Si ça se trouve, elle aurait bien aimé tomber sur un garçon de son âge, le caleçon baissé dans une cabine d’essayage !

Wolf se dirigea à grands pas vers les rayons alpinisme et plongée.

Cassie était frustrée, pas l'ombre de vêtements féminins à l'horizon, c'était jogging et compagnie, pas vraiment la panacée pour une demoiselle avec la fièvre acheteuse.

Elle opta à défaut pour une bonne paire de basket, un pantalon et T-shirt adidas des plus classiques et une veste en coton moulante de marque.

N'ayant pas Wolf pour jouer aux pervers, elle n'eut aucun scrupule à se changer directement sur place en abandonnant sans remords ses anciennes frusques. Elle partie aussi se dégoter une bombe de déodorant, à défaut de douche ce serait un bon palliatif... elle en choisit un aussi pour Wolf enfin deux, c'était utile pour couvrir la bête. N'ayant pas envie de jouer à la bombe à odeur elle les choisit en fonction de leur étiquette, un truc au nom bien viril du genre à t'attirer les nenettes sur des kilomètres en deuxième effet Kiss Cool... si ça fonctionnait ce serait un plus d'utilité public.

Fière de ses trouvailles elle partie en quête de Wolf les mimines dans le dos et sautillante comme un ti lapin de Pâques.

Il musardait dans les rayons, à ne rien faire, à se gratter les œufs, quand il se dit que puisqu’il était là, autant ne pas perdre son temps. Il alla chercher un caddy pour y mettre ses trouvailles.

Chez les fans de la grimpette, il préleva du stock une bonne longueur de corde, avec harnais, pitons et poulies. De quoi escalader ou descendre en rappel.
Il poussa son chariot jusqu’au coin plongée. Irrésistiblement attiré vers une belle rangée de couteaux. Après en avoir évalué plusieurs, Wolf choisit une large lame, assez dure pour éventrer un requin. Même un requin tigre.
Le couteau alla rejoindre la petite panoplie du guerrier, fermement lacé à sa cheville. Il prit dans une vitrine des bouteilles de plongée, manifestement pleines. Sans trop savoir pourquoi. On ne savait jamais.

Le stand juste à côté était dédié au surf. Wolf pila net devant une magnifique planche, multicolore, irisée. Un objet d’art ! On aurait crû qu’elle pouvait voler…
Un temps d’arrêt. Son œil qui passe du surf au caddy, et retour… Une hésitation.
Non. Ca ne serait vraiment pas raisonnable.

Abandonnant son rêve de survoler les vagues du Pacifique, Wolf se retrouva à l’accueil, juste devant l’entrée, comme un bon père de famille avec son petit chariot de courses.

L’accueil, c’était une petite guérite ronde en bois blanc, avec un toit conique. Et un micro.
Il passa le bras par-dessus le guichet pour s’en emparer. En allumant l’interrupteur, un douloureux larsen se fit entendre dans tout le magasin ! Il se mit à secouer le micro dans tous les sens, pour qu’il se taise, jusqu’à ce que l’engin capitule. Alors il le reposa, et collant presque sa bouche, dit d’une voix grave et chaleureuse :

- « Hello… »

Les haut-parleurs répercutèrent la voie de Wolf à travers tout le grand hall, la réverbération rajoutant en matière et en gravité. Il avait un message à passer. Avec le ton musical des hôtesses :

- « La petite Alice est attendue à l’accueil par son chauffeur. »

Si elle tardait trop… il allait lui sonner les cloches.

Cassie stoppa net à l'appel et pouffa de rire lorsqu'elle reconnu la voix, ça rendait plutôt sexy, elle n'y avait jamais prêté attention mais elle avait arrêté l'exploration du phénomène plusieurs centimètres plus bas.

C'était un nouveau talent qui se devait d'être révélé aussi fit-elle demi-tour, se dirigeant vers la sortie en criant du fond du magasin prête à être sa première fan :

- Une chanson ! Une chanson ! Une chanson !

Il entendit Alice avant de la repérer, toute fraîche dans ses nouveaux vêtements. Elle bondit d’entre deux têtes de gondole, petit léporidé en plein jogging.
Que cachait-elle derrière son dos ? La touffe blanche des Bunnies ?

- « Une chanson ?! Euh… C’est pas vraiment mon domaine. »

D’un autre côté, aurait-il encore l’occasion qu’on le lui réclame ? Il n’avait pas poussé la chansonnette depuis certaines soirées arrosées, à beugler des airs de corps de garde… C’est dire !
Pour son audition à ‘La Dernière Star’, espérons que le jury soit clément… Mais il ne pouvait décemment pas infliger à la fillette les mêmes chansons paillardes. Alors que choisir ?
Wolf fut tout naturellement porté vers des airs un peu anciens, entendus dans sa jeunesse. C’est qu’il suivait pas spécialement le Top 50. Alors il y avait peu de chances qu’elle connaisse. Lui, c’était un loup… pas une tortue !!
Il hésita entre deux morceaux, et choisit finalement le plus léger. Il verrait bien s’il y avait un rappel…

Wolf porta le micro à sa bouche ; un seul sourcil levé, genre vieux rocker inspiré. Il fléchit légèrement les genoux puis tendit un bras vers elle, en se déhanchant dans un twist lent…

Cassie le regarda le sourire jusqu'aux oreilles, admirative de la performance improvisée.

- Bravo ! C'est super ! Tu m'avais caché ça, tu as quoi d'autre comme talent en stock ?

Ses yeux innocents l'observait avec curiosité prête à croire tout ce qu'il pourrait bien lui sortir mais aussi à lui en demander démonstration.

Peut-être enfiévré par l’enthousiasme de la lolita, Wolf se laissa emporté par le rythme rageur que lui inspirait leur situation.
Ce monde détruit. Par qui ? Pour Quoi ? Et le gouvernement ? …Il a eu son compte ?

Les cheveux retombés sur le visage, Wolf hochait la tête en gigotant sur place… un pogo très contrôlé.
Mais il y avait dans son œil une intense colère, une frustration sincère ; celle de ne pouvoir faire payer à personne le poids de ces morts.

Cassie avait trouvé là un compagnon de jeu formidable, elle félicita sa bonne étoile pour lui avoir accordé autant de bonnes intentions... bien qu'elle aurait pu le faire un peu plus proprement en supprimant l'odeur infecte des cadavres et des chairs putréfiées qui l'acceuilleraient dès qu'elle mettrait à nouveau les pieds dehors.

- Au fait j'ai un cadeau pour toi !

Cassie dégaina ses armes de derrière le dos avec un grand sourire malicieux puis se jeta sur Wolf pour l'asperger des deux bombes à la fois dans un éclat de rire enfantin.

- Tayau !!!

- “ Wouaw! Ca fait du bien.”

Il passait ses deux mains dans les cheveux, pour les rejeter en arrière. Quand l’attaque survint !

- « Damned ! Du gaz moutarde ! »

Et il hurla « Tous aux tranchées ! » en bondissant dans la guérite d’accueil.
Il disparut la tête la première à l’intérieur.
Le visage de la fillette atteignait à peine le comptoir. Elle entendit farfouiller derrière.

Puis Wolf ressortit juste la tête, comme un sous-marin qui émerge, effrayant, avec son masque à gaz noir.
Il agita alors une canette de coca, menaçant de la dégoupiller comme une grenade…

- Hiiiiiiiiii !!!

Il devait y avoir autant de comédie que de vrai dans ce cri de peur mais Cassie n'insista pas en levant les bras et rendant les armes... elle avait eu du mal à dénicher quelque chose de mettable et elle ne tenait pas tant que ça à se salir.

- Je me rends !

Elle déposa les bombes sur le comptoir.

- Ce n'est pas une douche mais ça risque de devenir nécessaire si on traine encore quelques jours ici non ?

L’ennemi hissait le drapeau blanc.

- « Ah ! Tm HummHmmHum… »

Il ôta son masque.

- « Je disais : Ah ! Tu capitules… rascal ! »

Et il souffla sur l’opercule de la canette, avant de la faire tourner, en la rengainant dans un étui imaginaire.
Puis il se renifla.

- « Pas faux… »

Wolf avait attrapé une bombe. Il s’en aspergea copieusement le torse et jeta des regards de droite et de gauche…

- « Ben alors ? Où elles sont les gonzesses en bikini qui se ruent sur moi ? » Il colla presque l’aérosol à son oeil… « Produit défectueux. Tu t’es fait avoir, petite. »

- Pfff... et personne pour se plaindre à l'horizon, ce magasin est une honte !

Cassie avait les poings sur les hanches et la frimousse vraiment outrée qu'on ait abusé de sa naïveté.

- Pas le choix, il va falloir en faire d'autres !

Cassie jeta un regard en douce amusé à Wolf pour voir sa tête à l'idée de faire d'autres magasins. L'idée était un projet excellent de son point de vu mais elle se doutait que ce n'était pas la priorité de tous... pourtant c'était une aubaine sans pareil de pouvoir se servir et essayer sans jérémiade de vendeurs zélés sur le dos.

- « Pourquoi ? Tu préférerais d’autres fringues ? Plus classes ? En général, tu dois t’habiller en Prada … comme le Diable ! », ajouta-t-il en faisant les gros yeux. Ou presque.

C’était à elle toute seule un véritable petit diable de Tasmanie. Une tornade qui faisait de terribles ravages sur son passage ! En plus, quand elle lâchait les gaz, c’étaient des odeurs tenaces.
Il jeta les déodorants dans le caddy avec le reste.

- « Y’a bien des douches pas loin, dans le stade à côté, mais… j’ai pas très envie d’y aller. Si c’est pour encore enjamber des victimes. A moins que l’idée de sportifs étendus nus sur le sol t’attire… »

A son âge, c’était une opportunité autrement plus attrayante qu’un calendrier. Puisqu’elle n’avait pas l’air spécialement effrayée par les corps… Quoiqu’elle ne pût espérer d’eux qu’une rigidité cadavérique.
Il rit sous cape.

- « Bon, c’est pas tout ça. Il y a dehors une auto qui ronronne, en attendant qu’on lui soigne sa papatte. »

- Oki, allons-y !

Cassie partie en poisson pilote ouvrant grand la porte, le sourire aux lèvres, à maman Wolfy et son caddie de course... elle trouvait que ça ne lui allait pas du tout, il devait pourtant s'habiller et se nourrir comme tout le monde mais rien que de voir le Pirate dans un magasin de Mr tout-le-monde lui paraissait bien plus bizarre que ce qui c'était déroulé à Epsilon... peut-être aussi faisait-elle le lien entre ces cadavres et sa liberté en en faisant son parti mais associer Wolf à la ménagère de base, ça elle n'arrivait pas à s'y faire.

Lundi 2 Octobre - 17 Heures [Face au Stade Olympe]



Wolf vida le coffre de la voiture pour en prendre la roue de secours et le cric. Son sac et ses armes toujours à ses pieds, il souleva le taxi par paliers, puis ôta la roue qui avait explosé dans le choc pour poser la nouvelle. Seul l’enjoliveur manquait. Les ailes auraient bien besoin d’être rafistolées aussi.
Enfin, le matériel d’escalade et l’oxygène allèrent rejoindre la nourriture dans le coffre.

Alors qu’il s’étirait, satisfait du travail accompli, le vieux capitaine aperçut de son œil valide un bras qui pendait d’une voiture. Il étreignait encore, dans ses doigts crispés, une cigarette à peine consumée ! Sans se précipiter – et ça lui coûtait – Wolf alla arracher la clope au chauffeur inerte. Une fouille rapide ne produisit hélas qu’un paquet de Fortuna vide.
Celle-ci avait vraiment tout d’une dernière cigarette.

Wolf Blixen sembla produire une allumette, sortie de nulle part, et la craqua sur sa barbe râpeuse. Dès la première bouffée, il renversa la tête en arrière, l’oeil fermé. Le goût était fort et âcre ; il brûlait la gorge… Enfin ! Il était vivant ! C’était si bon. Mais pour combien de temps encore ?
Il profita pleinement de ce moment. Debout, dressé devant l’adversité, survivant dans un cimetière à ciel ouvert. Il savourait de sentir son corps endolori, apaisé par le plaisir attendu, et recrachait pensif des volutes de fumée.
Il se posait encore la question ; y avait-il eu un match la veille ?
…Y avait-il un vainqueur et un vaincu ?

Wolf eut un regard pour les hauts murs du stade Olympe. Deux oiseaux en descendaient à tire d’ailes. Deux corbeaux noirs qui se posèrent dans un bruissement sur un car sanguinolent.
Le tigre grogna dans leur direction, puis enfouit sa mine apeurée dans le giron frais de la jeune insouciante. Les corbeaux semblaient les observer.

Quand un coup de tonnerre roula dans le lointain ! Une masse sombre encercla la ville endeuillée. Des éclairs fugaces y couraient sans réussir à percer la muraille céleste. Elle s’illuminait ça et là de brèves lanternes, aussitôt avalées par les vapeurs fuligineuses.
Au-delà, quelque conducteur enragé avait lancé sa machine dans un formidable rodéo aérien. Grondant et fulminant, il martelait de ses roues la voie embrasée d’étincelles. Seul parvenait aux humains l’écho étouffé de sa course.

Et devenant brutalement sérieux, lointain, comme s’il scrutait en l’air un évènement distant, Wolf Blixen se mit à réciter :

- « As-tu jamais vu un champ jonché de guerriers ?
Pire, une plaine rougie du sang des armées ?
Avec le jour mourrant remontent les odeurs,
De la chair, de la peur, de toutes les humeurs.

Les corbeaux voraces disputent aux loups les restes
Des héros que les dieux ont effacés d’un geste.
Emportés par le vent comme statues de sel,
Jetés dans le Tartare, comme les anges rebelles.

Qui de Sparte ou de Troie remporta la victoire ?
Quelle cité rayée jusque de nos mémoires ?
Demain renaîtrons ceux parmi les olympiens
Qui éclipseront les cieux, le monde des anciens. »

Cassie regardait Wolf du haut de son museau de fouine. Curieuse aussi bien de son changement de roue que de sa cigarette volée puis surprise le lâcha quelques instants pour gratouiller accroupie Tigrou.

- Tu crois que c'est surnaturel tout ça ?

- « Surnaturel ? Peut-être… Avec la chance qu’on a en ce moment. »

Il n’y avait rien de naturel dans la mort de ces gens, rien qui la motive, et rien qui l’explique.
Surnaturel… Wolf en venait presque à souhaiter que ce le fût. Qu’il se passe enfin quelque chose ! Puisque la police et l’armée étaient à terre, puisque l’Etat avait disparu, il ne lui restait plus que les dieux contre qui se tourner.
Quel Hercule descendrait venger les innocents abattus ? Quel Hermès saurait leur montrer la voie ? Derniers fantômes d’un monde à l’agonie, ils étaient trois âmes en peine, en quête d’une raison de survivre.
Vivre ! Tout simplement. Wolf n’envisageait pas moins. Mais il eut tant aimé pouvoir se doter d’un but. Que faire quand il ne restait plus rien ? A part retomber dans l’animalité…

- « Je préfère y voir un signe… Mais d’une fin ou d’un retour, c’est toute la question. »

Les nuages restaient à bonne distance de la ville - et de la colonne de fumée en son centre. Comme un Omphalos et son Ourobouros.

Les corbeaux étaient revenus. Qui suivrait maintenant ?
Ou n’attendaient-ils les rescapés que pour mieux se repaître de leur chute ? On disait d’un goût exquis la chair des miraculés…

- Quand part-on d'ici ? On ne va pas y rester hein ? Maman disait que c'était vilain d'être trop curieux... je crois qu'elle avait raison... surtout maintenant.

Cassie regardait les restes de la ville, il n'y avait franchement rien à y attendre, espoir de trouvé qui ? trouver les responsables de quoi ? Que des questions inutiles, les cadavres n'allaient pas se relever et leurs vies seraient à faire ou refaire ailleurs que dans cette ville alors pourquoi attendre en essayant de comprendre pourquoi ?

Après quelques instants de réflexion, passés à terminer sa clope, Wolf se tourna vers Cassie. Ils étaient seuls dans cette ville. Désespérément seuls.

- « Ouais… Va falloir écouter ta maman... Tant pis. »

Pourtant, il était presque sûr qu’on lui avait fait quelque chose, qu’il n’était peut-être plus tout à fait le même. Et ça, il ne le laisserait pas passer… mais encore fallait-il tomber sur un responsable ! Il n’allait quand même pas passer ses nerfs sur les survivants.

Calmé par la cigarette providentielle, Wolf jeta son mégot ; comme on jette l’éponge. Il allait quitter la ville, chercher ailleurs de la vie, un abri sain loin de la cité moribonde. Bientôt, les corps en décomposition allaient par milliers empester l’atmosphère, répandre puanteur et maladies…

Il se promit à lui-même de revenir. Plus tard ; quand ils auront achevé de pourrir sur place. Et de tirer ça au clair. Parce qu’il était curieux malgré tout, et parce que c’était Epsilon, sa ville, que l’on avait détruite ; la cité si charmante de sa jeunesse, celle qui l’attirait plus que tout, qu’il avait choisie comme refuge et qui l’avait emprisonné de ses liens.
On revenait toujours à ses premières amours. Et le cœur d’Epsilon battait au rythme du sien. Pourquoi l’avait-on frappée d’un si grand vide ? N’y aurait-il personne pour faire renaître le phénix de ses cendres ?
Un nuage noir occultait la réalité, si sombre sous la poitrine de Wolf. S’il n’y prêtait pas attention, le loup pourrait bien se mettre à hurler. A la mort, à la vengeance, et à l’amour de sa ville, si bouillante de vie, si pleine de projets que l’on disait le maire cloné !
Il s’obstinerait donc à l’aimer, envers et contre tout, jusqu’à ce qu’il s’écroule à son tour, vaincu par l’adversité.
C’était ça ou finir comme Werther, sous le tir de pistolets empruntés.

- « Allez, en route ! On a besoin d’essence. »

Pour continuer, pour pimenter notre existence.


Ils se dirigèrent, prudemment cette fois, jusqu’à l’échangeur sud, et sa station service.

- Ok !

Cassie poussa les fesses de Tigrou jusqu'à le faire monter en voiture. Elle dégota du lait à l'arrière et s'installa à son tour sans oublier de s'attacher cette fois.

Le félin d'un côté, la bouteille de lait de l'autre, elle sourit malicieusement en pensant à la futur bataille qui allait se dérouler à l'arrière du véhicule.

- Je suis prête !

Elle reporta son attention sur le gros minet qui par sa bouille inquiète pressentait le mauvais coup sans savoir de quoi il en retournait.

- A nous vil poilu ! Goûtes à ce lait si t'es un chat !

Les deux adversaires s’observèrent longuement, avant qu’elle ne plonge sur la bête, dans un duel sans merci. La bataille fit rage…

Pendant qu’Alice faisait mumuse avec son petit minou, Wolf fouilla dans la boîte à gants pour remettre un CD ; pour passer le temps aussi, et égayer un peu l’ambiance. Une musique bien rythmée donnerait un peu de relief à cette morne journée. Pendant les longs voyages, il fallait bien distraire les enfants à l’arrière… C’était toujours mieux que de compter les voitures brûlées - ou les cadavres barbus !
Quand ils arrivèrent à la station service, les hauts-parleurs crachaient du Daddy Yankee, Gasolina.

Spoiler:

Spoiler:

Spoiler:

Après s’être bien secoué sur la cadence latino, Wolf se rangea devant les pompes et ouvrit la portière.

- « Bon. Je vais dévaliser la station ; je te laisse avec ton complice. »

Il sortit avec sac et fusil, pour son deuxième braquage de la journée. Faut dire qu’en face, ils étaient pas très combatifs…