Musique de nuit

Cette situation devenait insoutenable. Alba frémit entre colère et tristesse. Elle se leva et fit mine de retourner en cuisine chercher quelque chose. Elle s'appuya un instant sur l'évier et respira un grand coup. Puis elle revint s'asseoir et tenta de retrouver le sourire. Jeremiah ne se déciderait pas à percer l'abcès, à se décharger de son fardeau. Il fallait qu'il se libère, mais il s'évertuait à garder sa douleur et à s'en nourrir, soit disant pour survivre? Pour rester fier et digne? Foutaise, idiotie, stupidité de l'orgueil masculin. Elle aurait voulu lui retourner une gifle pour le faire sortir de ses gonds. Mais à quoi bon. Elle avait suffisamment peur qu'il l'abandonne ou qu'il décide de faire cavalier seul.

Elle resta silencieuse, cherchant quelque chose à dire, à raconter pour égayer encore une fois la conversation. Il ne l'aidait pas. Elle finit son verre de whisky d'une traite et prit à son tour la bouteille de vodka. Elle s'en servit un verre déraisonnablement plein et en avala quelques gorgées.
- ça réchauffe !

C'est tout ce qu'elle trouva d'intéressant à dire pour justifier son acte. Puis elle continua de manger. Elle repensa à Katie et se dit qu'elle ne devait pas lui en vouloir d'être aussi désagréable et morbide. Elle soupira et eut une idée.
- Tu me joueras un peu de guitare après?

Le jeune homme ne comprenait pas l'attitude d'Alba. Etait ce de sa faute ? Sans doute. Il s'en voulut mais ne savait pas comment réparer.

- ça réchauffe !

Il eut un sourire amer en la voyant faire. Il délaissa son whisky pour la vodka qu'il coupa avec le reste de jus d'orange du matin. Tout ça sans un mot.

- Tu me joueras un peu de guitare après?

Il parut sincèrement surpris et se dit qu'elle avait du voir l'instrument dans sa chambre.

- D'accord. Mais ne viens pas dire après que je te casse les oreilles, dit il avec un vrai sourire cette fois.

La perspective de jouer avait allumé son regard. Jeremiah s'était mis à la guitare ado pour impressionner les filles que le camboui rebutait. S'il n'avait pas toujours le temps de s'exercer autant qu'il le souhaitait, il devait avouer qu'il avait du mal à s'en passer. Après la mécanique, c'était sa 2e passion. Il soupira tout à coup, se rappelant que c'était la guitare qui l'avait fait remarqué aux yeux de Katie, dans le bar qu'il fréquentait pas très loin d'ici, et il avala sa vodka d'un coup. L'alcool était il un bon anésthésiant aux douleurs de l'âme et du coeur ? Il n'en était pas persuadé mais ça valait le coup d'essayer.

- Il faudra te contenter des morceaux que je connais. Pas énormément d'ailleurs, continua-t-il en se forçant à continer cette conversation pour ne pas sombrer dans le chagrin.

Il attrapa son assiette et commença à manger avec un soupir de satisfaction.

- Bravo. C'est délicieux, dit il sincèrement. Tu me chouchoutes là.

Il avala avec un souire puis la regarda droit dans les yeux. Son regard était redevenu grave et sérieux.

- Merci.

Il se concentra sur son assiette et continua de manger avec plaisir. Il n'avait pas simplement remercié Alba pour le dîner et il espérait qu'elle comprenne que ce simple "merci" voulait dire plus que cela.

Alba ne dit rien mais laissa son regard dans le sien. Elle le défiait du regard. Non pas pour le combattre de l'intérieur, mais pour tenter de lui communiquer une sorte de courage. Celui-là même qu'il lui avait imposé. Quelque part, elle espérait que la musique ferait son effet et que tous deux pourraient relâcher la pression que Jeremiah leur avait imposée. Ne pas pleurer, ne pas montrer sa peur, sa peine, faire semblant de rire et imaginer que cela ressemblait plus à un bivouac entre amis.

Il fallait qu'il se rende à l'évidence. Il fallait qu'il fasse son deuil rapidement et qu'il la laisse l'aider. Il était humain et devait accepter sa propre faiblesse. Elle n'aurait que plus confiance en lui. Comprenait-il seulement son message?

Elle finit son assiette et le reste du repas se fit dans le silence. Puis elle débarrassa. Pas envie de faire la vaisselle de suite.
Elle alla se resservir un verre de vodka avant de rappeler à Jeremiah :
- Alors? Tu me fais découvrir ton répertoire?

Il hocha la tête mais prit son paquet de clopes.

- Je vais m'en griller une dehors d'abord. Tu me tiens compagnie ?

Il avait à la fois envie de rester seul et de ne pas l'être. Il se leva et attrapa son briquet, la cigarette au bec.

- Je sais bien que c'est idiot mais je ne veux pas fumer ici.

Il soupira.

- J'avais réussi à arrêter, tu sais ?

Il désigna du menton le paquet de clope marqué d'une date sur l'étagère derrière elle.

Alba le suivit. Elle en avait pris une dans le paquet au passage. Elle se souvint que Madeleine lui avait fait arrêter la cigarette à son arrivée, mais dans cette situation, elle se doutait bien que personne ne viendrait lui faire la remarque. Pas bien pour la santé ? Elle avait vu des tonnes de cadavres que la cigarette n'avait pas tué et qui gisait sans sépulture.

Elle la mit à la bouche et le rejoignit. Elle approcha sa tête de son briquet alors qu'il allumait la sienne et en profita pour brûler son tabac. Une ou deux bouffée difficile et trois toussotement plus tard, elle avait reprit ses habitudes. Il ne lui restait plus qu'à trouver un autre paquet pour ne pas avoir à taxer Dakota.

- Mine de rien ça fait du bien.

Elle espéra qu'elle n'aurait pas la nausée. Cela aurait été dommage de vomir son dernier repas. Le plus consistant depuis hier et dont elle aurait besoin pour affronter demain.

- Tu sais jouer quoi à la guitare? Ma mère en avait une et connaissait plein de chansons révolutionnaires. Elle m'en chantait quand j'étais môme, quand mon père n'était pas là. J’aurais bien aimé qu'elle m'apprenne à en jouer. Mais ce temps là est passé trop vite.

Elle tira une longue latte et fit quelques ronds. Les mauvaises habitudes reviennent toujours trop vite.
- J’n’aurais même pas eu l'occasion d'assister à un concert de rock. Pourtant il y en avait de pas mal de prévu prochainement.

L'air était frais mais c'était agréable de passer un moment de détente tout simple. Il s'appuya contre le mur, son regard se perdant dans l'obscurité qui recouvrait tout le quartier. Cela faisait bizarre de ne pas voir de lumière.
Il sourit quand elle toussa mais ses yeux la regardait avec une certaine inquiétude. Il comprit à sa réflexion qu'elle était comme lui : une ancienne intoxiquée.

- Tu sais jouer quoi à la guitare? Ma mère en avait une et connaissait plein de chansons révolutionnaires. Elle m'en chantait quand j'étais môme, quand mon père n'était pas là. J’aurais bien aimé qu'elle m'apprenne à en jouer. Mais ce temps là est passé trop vite. J’n’aurais même pas eu l'occasion d'assister à un concert de rock. Pourtant il y en avait de pas mal de prévu prochainement.

Il rit doucement alors qu'il faisait tomber sa cendre par terre. Il secoua légèrement la tête tout en retenant un fou rire. La ville était détruite, elle avait tout perdu et elle pensait aux concerts de rock !

- Sorry, réussit il à dire en reprenant son sérieux. Pas de chansons révolutionnaires au répertoire. J'aime beaucoup le blues. C'est mon grand père qui m'a fait découvrir.

Il parlait du vieil homme avec nostalgie, comme d'habitude.

- La guitare... C'était pour draguer les filles, dit il en riant de lui même. ça marchait plutôt bien, mieux que de trainer mes paluches dans un moteur.

Il fit un clin d'oeil à Alba mais il n'était même pas sûr qu'elle puisse le voir dans le noir. D'un autre côté, c'était peut être plus facile de parler ainsi.

- Mais je me suis fait avoir : ça m'a plu de jouer. Et j'ai continué. Du blues, des balades rock... J'ai même essayé la country pour voir, fit il dans un grand éclat de rire. Je te rassure : ça n'a pas duré longtemps.

Il s'écarta du mur et alla s'asseoir sur le muret de la terrasse, la tête tournée vers le quartier qu'il ne voyait pas. Il avait l'impression d'avoir un trou à la place de la poitrine et il ne voulait pas qu'Alba s'en rende compte. Pourtant, il continua, tirant sur sa clope de temps à autre.

- C'est comme ça que j'ai rencontré Katie. Il y a... avait un bar pas loin d'ici où j'allais souvent. J'y jouais de temps en temps.

Il avait du mal à mettre tout au passé et cela ravivait la perte de la femme qu'il aimait.

- Elle a aimé le morceau.

Il souriait tristement, la tête levée vers le ciel étoilé. Sa voix était légèrement rauque et il ne put en dire plus pour l'instant.

Le moment eut été propice à un rapprochement, un instant passé en silence, ensemble, tête contre épaule. Ils auraient pensé à ceux qu’ils ont connu, qu’ils ont aimé, ceux auxquels ils avaient fait leur adieu aujourd’hui.

Les étoiles perçant d’entre les nuages renvoyaient leur clignement complice. Mais elles restaient bien loin, impuissantes en ce monde. La nuit allait être froide.

Alba fredonna malgré elle un de ces vieux airs que sa mère chantait, un chant d’Atahualpa Yupanqui : Mi Mala Estrella… ma mauvaise étoile.
Elle pensait à Jeremiah, et avec lui, à Katie…

Spoiler:

Je demande toutes les nuits
A l'étoile qui te soigne
S'il pousse une fleur de trahison
Dans le jardin de ta vie.

Ay, Ay, avec ma mauvaise étoile
Qui joue avec ma douleur,
On dirait qu'elle dit oui,
On dirait qu'elle dit non.



Pourtant, le destin décida d’interrompre leur recueillement.
Le silence de la nuit fut déchiré par trois coups de feu rapprochés, à proximité… suivis d’un long et lugubre hurlement, comme si des meutes de loups avait déjà investi la ville !

- Shit ! jura le jeune homme, la machoire serrée d'appréhension.

Ce n'était pas loin du tout... Aussitôt, il repensa aux éventuels évadés du Tartare ou de l'asile, mais cela pouvait très bien être d'autres survivants plus fréquentables. Et ces hurlements... Les chiens étaient ils déjà retournés à la vie sauvage ?
Il regarda Alba, l'air soucieux. Il hésitait à aller voir : cela pourrait être dangereux là bas tout autant que de la laisser ici. Mais s'il s'agissait de gens en danger... Il repensa à Katie. Sa décision était prise.

- Je vais aller voir. Toi, restes ici.

Jeremiah se précipita vers la rue, seul. Mais Alba était-elle du genre à le laisser affronter seul un danger ? Elle qui passait volontiers devant dans les situations périlleuses…




Il entendit cette fois le son familier d’un moteur qui s’emballait, et des pneus qui criaient leur souffrance sur le bitume.
A deux pas d’ici, une voiture puissante venait de démarrer en trombe, avec difficulté.

- Jeremiah attend !!

Alba ne voulais pas rester seule ici... De toute façon il n'y avait rien à gagner ou à perdre à rester en vie seule. Si Jeremiah courait un risque autant qu'elle le court avec lui.
Elle se redressa maladroite et le suivit.

Il s'était arrêté pour mieux écouter et se tourna vers Alba, les sourcils froncés. Elle était têtue... mais il ne pouvait nier qu'il n'était pas contre la savoir avec lui.
Il revint vers le garage et enfourcha sa bécane pour la démarrer.

- Allez grimpe.

Il lui sourit gravement et boucla son casque.

Alba ne se fit pas prier et chevaucha la moto derrière lui. Elle s'accrocha à lui, contente qu'il ne l'ait pas abandonné.
- Qu'est-ce que c'était d'après toi ?

Il était certain à présent qu'il n'était plus seul. Mais Alba ne savait pas si elle devait s'en inquiéter ou pas. Elle eut froid dans le dos en repensant que jusqu'ici, elle n'avait croisée que des fantômes.

Il haussa les épaules.

- Des emmerdes... Pour qui, faut voir.

Il regretta soudain de ne pas être armé.

Les coups de feu avaient été tirés de la station service voisine. Et un bruit de moteur s’éloignait dans la direction opposée. A l’oreille, le véhicule devait déjà être à la sortie de la ville. Il était passé tout près d’ici, mais à présent, on ne l’entendait quasiment plus.

Deux options s’offraient à eux :
Partir à la poursuite de la voiture inconnue, déjà loin et vers le tunnel qu’il s’était juré d’éviter…
Ou aller voir sur place ce qui avait motivé ces détonations – après tout, quelqu’un était peut-être blessé ?

Jeremiah n'aimait pas vraiment ça. Il n'était pas question de foncer à la poursuite de la bagnole. Jamais il ne mettrait les pieds dans ce putain de tunnel !

- On va voir. De toute façon, faut que je fasse le plein.

Il démarra et la moto bondit dans la rue, Alba cramponnée derrière. Le voyage fut de courte durée, puisqu’ils n’avaient qu’à repasser sous le périph. En remontant le boulevard, Jeremiah crut apercevoir deux grands chiens qui détalaient au loin.

Le visage au vent, il faisait bon sentir la jeune fille tout contre lui. Non seulement ils savaient ne plus être seuls en ville, mais lui avait quelqu’un contre qui se blottir. Même un fugace instant. Ce n’était pas négligeable par les temps qui couraient. Il pouvait sentir l’odeur fraîche d’Alba après cette copieuse douche, une douce senteur de monoï et de coco. Et elle ne semblait pas vouloir s’éloigner de lui. Que demander de plus ?
Ah oui, il avait aussi le ventre plein grâce à elle. Trois raisons d’être un homme heureux.

Ils parvinrent à la station service. Une voiture en avait défoncé la vitrine. Un détail qu’il n’avait pas relevé en allant au garage. C’était bien le signe que quelqu’un était passé par ici depuis.
Il y avait aussi au sol d’importantes traces de gomme, devant les pompes. Des pneus avaient souffert à cet endroit. Son âme de mécano en fut toute retournée... On n’avait pas le droit de faire subir ça à une voiture digne de ce nom !
Le corps d’un homme en costume jonchait le sol également, des lunettes noires à ses côtés.

Et de l’intérieur de la station, ils entendirent des bruits de papier, et comme un bidon que l’on roulait ou poussait. Mais rien de visible de l’extérieur. Aucune silhouette humaine debout.
Quelqu’un était-il allongé dans la boutique, essayant désespérément de se relever ?

Ils descendirent de moto à côté des pompes, puisqu’ils devaient faire le plein.

Derrière eux, l’homme se releva et ramassa ses lunettes noires. Il fit deux pas jusqu’à hauteur d’Alba, tout en époussetant son costume.

- « Z’avez vu ça ? Ils m’ont piqué ma bagnole, ces salauds ! »

Il fouillait dans ses poches d’un air agité.

- « Putain ! Ils m’ont même piqué mes papiers… Oh non ! Et ma carte magnétique… C’est pas vrai, merde ! Fallait que ça m’arrive aujourd’hui ! »

C’était un homme d’une bonne quarantaine d’années, assez costaud et aux cheveux presque ras. Dans son costard bien coupé, impeccable avant d’être sali, il avait tout du cadre dynamique - ou d’un vigile de supermarché ; sauf qu’il était blanc et apparemment bien payé…

- « Ah la la, comment je vais faire, moi maintenant ? Ils doivent déjà m’attendre… Même ma montre est cassée ; la poisse ! …Ah, quand ça veut pas. Vous auriez pas l’heure s’il vous plait ? »

Il s’adressait à Alba, et à elle seule. Il n’eut pas même un regard pour Jeremiah. D’ailleurs, celui-ci n’avait rien entendu de l’agitation du gars.

Au sol, il y avait toujours un homme en costume et ses lunettes noires…

Jeremiah s'était accroupi près du cadavre tout frais pour l'examiner.

- « Euh… Je crois qu’il est déjà tard… c’est pas de chance… Monsieur ? »

Jeremiah vit Alba qui parlait dans le vide.

- « Stéphane Merganz. – Chargé de communication chez Eclypse. »

Il lui tendit une carte de visite, sortie d’une poche intérieure. La même carte que trouva Jeremiah en fouillant le corps.

- « Je dois absolument me rendre au bureau tout de suite. Vous pourriez pas me déposer en centre-ville par hasard ? »

- « Nous sommes en moto ; ça va être difficile. »

Alba semblait complètement débloquer !

[désolée, je n'avais pas vu...]


Jeremiah récupéra le portefeuille pour y trouver la carte de visite, mais son attention fut attirée par Alba qui parlait toute seule. Il se releva et approcha d'elle, l'air inquiet.

- Alba ? ça va ?

Alba se sentait étrange. Etrange à ce monde. Etrange à ceux qui l’entouraient.
Elle était figée, comme en transe.
Ce n’était pas comme avec Katie. Elle ne voyait pas un esprit éthéré, mais un homme bien consistant. Cela faisait toute la différence.

Pire, elle assistait à sa propre vision, comme un spectateur lointain. Elle aurait voulu se secouer, échapper aux ombres qui la poursuivaient, crier à Jeremiah de la sortir des limbes ; mais c’était impossible.

Chacun d’eux avait un pied dans l’autre réalité. Chacun percevait ce qu’il n’aurait jamais dû voir. Et aucun n’avait vraiment conscience de son état.


Elle répondit à Jeremiah d’une voix blanche.

- « C’est monsieur Merganz… Il réclame notre aide… Je lui disais que nous ne pouvions pas l’emmener. »

- « Pfffff… On m’a rappelé en urgence, il faut vraiment que j’y sois… J’étais en congé, je devais rentrer que demain. Mais comme on était sur un gros truc, c’est qu’ils doivent avoir besoin de moi plus tôt. »

- « Un gros truc ? Je doute que ce soit encore important maintenant, monsieur. »

Il la regarda avec inquiétude, se demandant si elle n'avait pas perdu les pédales. Il la prit par les épaules.

- Alba, y a que nous ici. Juste toi et moi.

- « Qu… Quoi ? Juste nous ? »

Le contact de Jeremiah la sortit de sa torpeur. Alba comprit son erreur, que ça venait de la reprendre, encore une fois. Qu’elle avait eu une nouvelle vision.
Et qu’elle venait de se ridiculiser devant Jeremiah.

L’œil encore un peu vague, elle s’appuya contre lui, pour y puiser un peu de vie, un peu de chair, s’accrocher à une réalité plus tangible, tellement plus chaude et plus rassurante.

- « Excuse-moi… J’ai cru entendre quelqu’un… C’est idiot. »

Elle eut un petit sourire forcé, toute penaude.


Pour elle, Merganz faisait toujours les cent pas. Il tournait à droite, à gauche, et regardait tout autour.

– « Et va trouver un taxi quand t’en as besoin… Eeeh, mais si ; y’en a un ! »

Il se dirigea vers celui laissé par Wolf Blixen devant la vitrine, défoncée par une autre voiture.


Alba feignit de l’ignorer, assez inquiète en réalité. Elle avait franchi un nouveau seuil aujourd’hui. Jamais ombre n’avait parue aussi réelle.
Si ça devenait trop fréquent… elle craignait de perdre pied, de devenir folle.
De ne plus distinguer le vrai du faux, l’ici de l’ailleurs.

Jeremiah…

Il avait les pieds sur terre. Il pourrait l’aider à tenir bon, droite. Elle se redressa. Alba allait mieux.

Il la regarda longuement, l'air inquiet.

- Tu es sûre que ça va ?

Après tout, c'était pas dit qu'une saloperie ne soit pas dans l'air et la rende malade.

- « Euh… »

Elle hésitait entre lui dire la vérité – ou au moins sa vérité – et continuer de faire semblant. L’hypocrisie dominait la plupart des rapports humains. Un vrai fléau. Et pourtant, sans, on se boufferait le nez sans arrêt !
Dire toujours tout ce qu’on pense, c’était le meilleur moyen de se retrouver seul assez vite.

Oh et puis zut ! Alba vivait avec son secret depuis trop longtemps, un poids trop lourd pour une fille seule. Trop seule.
Tout n’était plus qu’excès autour d’eux. Excès de drames, d’horreurs, et d’incompréhensible.
Quand le monde s’écroule, les barrières individuelles s’écroulent avec lui. Les règles n’étaient plus les mêmes, non ? Et à qui d’autre pourrait-elle parler, se raconter, sinon cet homme ?

Un simple inconnu, qui cessait d’heure en heure de l’être… En plus, son beau regard bleu respirait la franchise, l’honnêteté ; la simplicité. Cela poussait plus à se confier qu’avec un de ces mecs m’as-tu-vu, les dragueurs sournois à deux balles, et les petits chefs contents d’eux. Bref, ceux qui vous pourrissent la vie au quotidien.

Elle n’avait plus envie de mentir indéfiniment. Alba décida de se jeter à l’eau. Tant pis s’il la prenait pour une dingue ! Elle espérait juste ne pas se retrouver toute seule après…

- « Et si je te disais que… l’esprit de ce type est encore là ? Parmi nous… Tu te dirais qui faut me faire soigner ? »