Au-delà du miroir

Alvarez se sentait en mauvaise posture.
L'adversaire semblait le voir, mais lui n'avait pas cette chance.
Il allait devoir se fier à son ouïe, ce qui n'était pas évident en bougeant. Il essaya une dernière fois de se diriger vers la mallette.

Les attaques répétées lui avaient peut être permis d'estimer la taille de son adversaire, si sa corpulence avait changé avec sa métamorphose.

Effectivement, il semblait le localiser très facilement.
Alvarez entendit comme un bruit de drap que l’on tend, un bruit montant en hauteur…
Et une masse s’abattit sur lui !

La créature n’était pas plus grande qu’un homme, ni beaucoup plus puissante. Mais des griffes vinrent lui lacérer les épaules, arrachant un cri de douleur.
Un filet de bave coula sur le visage d’Alvarez.
Dans ce combat à mains nues, dans le noir, il était vraiment en danger. Son adversaire semblait disposer d’armes naturelles inquiétantes.

Alvarez laissa tomber la mallette et tenta de se barrer.

"Je connais le CODE"

Tenta-t-il de dire vainement à un adversaire qu'il ne pourrait surement pas raisonner.

Pas d’autre réponse qu’une modulation suraiguë, qui vrilla les oreilles d’Alvarez.
Il était encore loin de cet ascenseur invisible, avec un monstre sur ses talons, et il perdait son sang. Son ennemi était beaucoup plus agressif que lui, sans pitié.

Soudain une rangée de crocs vicieux s’enfonça dans ses chairs. Terrible douleur ! Et il sentit aussitôt la vie le quitter, peu à peu.
Les yeux de la bête rougirent dans les ténèbres, tandis qu’elle se nourrissait de l’énergie vacillante du malheureux.

En tentant de se dégager, il heurta l’un des casiers derrière lui. Comme ceux que l’on pouvait trouver dans les vestiaires.
Il était vraiment dos au mur, dans tous les sens du terme.

Alvarez eut le seul réflexe qui lui sembla approprié. Les yeux rougissant étaient une cible aisée et juste face à lui, il y plongea ses doigts, assez pour faire mal, mais pas assez pour crever les deux. Il espéra que la douleur ferait hurler l'infortuné métamorphe qui desserrerait ses crocs. Rassemblant l'énergie du désespoir il en profita pour lui placer un coup de genou dans l'entrejambe avec la volonté de faire perdre à son ennemi tout espoir d'avoir une descendance.
Avec un peu de bol, Alvarez gagnerait le temps de répis nécessaire pour rejoindre l'assenceur. Tant qu'il avait un peu de tonus, il valait mieux fuir.

Il en profita pour hurler :

"JUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN, RAMENE UNE LAMPE, CA UUUUUUUUUUUUUUUUUUUUURGE ! IL VA ME CREVER ! "

Alvarez eu également une pensée pour son ami jaguar qui ne savait surement pas escalader l'intérieur d'une cage d'assenceur. Dommage.

L’attaque eut l’effet escompté. La chose recula prestement en hurlant de douleur.

Alvarez était de nouveau libre de ses mouvements, même s’il souffrait au moins autant que son adversaire. Il était déjà faible. Cette créature avait bu plus que de raison, et directement à la source, le sang d’Alvarez.

- « TIENS BON. J’ARRIVE ! »

Juan se précipita dans la cage d’ascenseur, et entreprit l’ascension, le plus vite possible. Trop vite sans doute.

- « NOooon… » - Boum !

Il glissa et retomba deux mètres plus bas, dos au toit de l’ascenseur ! Il était dans les vapes.

Alvarez entendit la chute. Et pile l’instant d’après, un léger feulement dans le noir…

Alvarez étouffa un juron. Il se retrouvait véritablement seul face au monstre. Il raffermit sa prise sur les tonfas. Il n'avait pas voulu frapper son adversaire car il aurait des questions à lui poser, mais il n'allait pas avoir le choix, il allait devoir briser des crocs.

Malheureusement, Alvarez était épuisé. Cette saloperie lui avait pompé une partie de son sang et la douleur irradiait son corps franchement meurtri.

L'ascenseur semblait difficile à atteindre. Il était dos au casier, normalement sur sa gauche se trouvait une grande baie vitrée. Restant dos au mur, il essaya de s'en rapprocher, les tonfas levés devant lui en position de garde.

Il glissa donc sur le côté, profitant de ce court instant de répit. Hélas, son mouvement ne pouvait échapper à la créature. Même aveuglée, elle savait où frapper. Et folle de rage, elle retourna à l’assaut…

Mais Alvarez sentit soudain un vif déplacement d’air devant lui. Quelque chose venait de passer à toute vitesse… Et c’est un bruit de lutte qui suivit, avec les tables et leurs instruments médicaux qui se renversent, avec des grognements de fauve et des hululements stridents !

Alvarez venait de bénéficier d’une aide inattendue, illogique, pour ainsi dire incompréhensible. Mais un autre animal était là, et il venait de s’en prendre à son adversaire.
C’était le moment ou jamais d’en profiter.

"C'est bien petit, c'est bien !!"
Il ne savait pas vraiment comment encourager son sauveur, mais le coeur y était !

Malheureusement il ne pouvait pas vraiment venir à son secours.
Dans le noir, à part balancer des coups au pif, il ne pouvait guère agir.

Il se précipita sur la valise et fonça vers l'ascenseur.

"BALANCE MOI LA LAMPE, CA URGE !"

Sans réponse d'en bas, il descend en quatrième vitesse, refait le calcul avec les retenues pour ouvrir la valise. Ensuite il remonte, avec la lampe de Juan, pour l'injecter au pauvre type qui est en train de se faire dévorer par le jaguar.

Alvarez retrouva la mallette à tâtons, et redescendit guidé par la torche d’Angelyne qui tentait de venir en aide à Juan. Ils durent le tirer à deux hors de la cage d’ascenseur. Juan avait des griffures sur le corps… Des griffures qui apparaissaient et disparaissaient à vue d’œil !

- « Oh mais tu pisses le sang aussi ! » s’exclama Angelyne - « Laisse-moi m’occuper de ça, c’est pas joli joli. »

Elle entreprit de tamponner les blessures d'Alvarez avec un mouchoir.

Faire le calcul du code prenait quand même un peu de temps. Avant d’en avoir terminé, un bruit troubla la concentration d’Alvarez. Un choc dans l’ascenseur.
Une brume noire en sortit, par fumerolles et par nappes. Enveloppant une silhouette humanoïde, le nuage se dirigea rapidement vers l’escalier qui remontait au rez-de-chaussée.
L’être n’avait manifestement pas l’intention de traîner ici.

"Putain de merde".

Alvarez accéléra pour démêler ce foutu code.
Il ne se voyait pas courser cette chose inconnue armé simplement de sa "virilité" et de son couteau comme le dit l'adage.
Il lui fallait la seringue.

Il écarta Angelyne.

"Trempe ton mouchoir sur le sang de Juan avant. Ca t'avait guérit non ?

Il y a aussi quelque chose qui m'a sauvé là haut. Si ce truc est descendu, mon sauveur ne doit pas être bien... Il faudra aller voir.
En attendant il faut choper ce monstre avant que l'on ne le perde de vue. Et lui coller la seringue dans le derch' pour qu'il redevienne normal ! "

Une fois le code brisé et la mallette ouverte, il se jetterait à la poursuite du monstre. Advienne que pourra.

Juan se réveilla avec Angelyne qui épongeait ses blessures, pour en asperger celles d’Alvarez.

- « Wow ! Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai fait un drôle de rêve… J’ai rêvé que je me battais avec Batman… Et puis il tournait plutôt genre Venom… Un sale trip ! »

Juan avait sur l’épaule une morsure inquiétante… identique à celle d’Alvarez !

Et peu à peu, elle s’estompa des chairs du premier, avant que le sang miraculeux ne laisse qu’une belle cicatrice sur le corps d’Alvarez... On aurait presque pu croire qu’il avait été mordu par un requin !

Enfin il vint à bout de la mallette. A l’intérieur, trois creux en mousse à la forme de l’objet à recevoir.
Le premier, en forme de seringue, était vide.
Le second, identique, contenait une seringue de liquide mi-blanchâtre, mi-verdâtre.
Quant au dernier, il abritait un gros pistolet en plastique jaune, capable de projeter de petites fléchettes hypodermiques. - Encore un ! – Avec 2 munitions seulement.

Et un mode d’emploi :

« Sujet Wolf Blixen –07 γε

- 1ère injection : Génothérapie
Surveiller le sujet pendant 48 heures. Attention aux dérives psychotiques.

- 2e injection : Stabilisation (contrôle des perceptions extra-sensorielles)

Isolation totale du sujet exigée. Ne pas lui parler (extrême suggestibilité).
Attendre l’équipe pour l’implantation hypnotique.


- En cas de risque de perte de contrôle du sujet, utiliser le pistolet jaune.
Cela neutralise les effets des injections précédentes pendant environ 2 heures. Une dose suffit.
Le sujet ne présentera alors plus d’autre talent que ses aptitudes naturelles.

Dans tous les cas de figure, ne jamais libérer le sujet de ses entraves. »



A ce moment là, l’étrange créature s’était déjà élancée hors du commissariat, bondissant dans les rues à toute vitesse. Elle avait pris pas mal d’avance.

Bon, il allait falloir qu'Alvarez se tape le sprint de sa vie pour rattraper le fou furieux. Il s'empara du pistolet jaune.

"Je vais le rattraper et lui injecter sa dose.
Je vous laisse trouver de quoi le ligoter. Il doit y avoir de quoi faire en haut.
J'ai été secouru par une bestiole, le jaguar je suppose.
Si vous pouviez le soigner... ce serait une bonne chose.
Il semblerait qu'il veille sur nous, se passer d'un tel allié serait idiot.
Il ne vous attaquera pas, j'en mettrais ma main au feu."

Alvarez se lança ensuite à la poursuite de la créature tout en l'invectivant :

"HEEEEEEEEY, SALOPERIE !
VIENS !"

- « Un jaguar ? Euh… t’es sûr ? - Bon ok, je vais voir. A toute à l’heure, on t’attend ici. »

En sortant du commissariat, il le vit disparaître au bout de l’avenue. Un nuage sombre qui bondissait et volait à moitié, planant d’un point à un autre.
A pied, Alvarez n’avait aucune chance de le rattraper.

Heureusement, la jeep pouvait se frayer un chemin rapide dans ces rues dévastées. Elle devrait permettre de se rapprocher de sa cible.
Celle-ci avait pris le même chemin qu’eux à l’allée, remontant vers le nord, puis obliquant à l’est.

Alvarez sauta dans la bagnole et démarra en trombe, en évitant de caller. Il appuya sur l'accélérateur pour rattraper le monstre.

S'il voit bien le chemin pris par la chose et envisage une voie détournée qui pourrait être un raccourci, il la prend sans hésiter.

Son but est de se retrouver devant Wolf et de lui coller la flechette entre les deux yeux (ou presque).

Il le prit donc en chasse. La course-poursuite dura dix bonnes minutes, pendant lesquelles Alvarez avait fort à faire à conduire en évitant les obstacles et rattraper le nuage noir, qui se déplaçait de murs en murs comme un écureuil volant.

Enfin, il arriva à sa hauteur et réussit à lui envoyer une fléchette. Impossible de viser les yeux dans la masse de ténèbres…
Celle-ci disparut en premier, révélant une créature humanoïde, avec de grandes ailes membraneuses sous les bras. Il avait aussi des griffes, de grandes oreilles, un petit nez fendu aplati, et une multitude de dents pointues… Il ressemblait à une chauve-souris.

Le mutant plana encore quelques mètres - avant que de reprendre subitement sa forme humaine, surpris en plein vol, et de s’abattre lourdement au sol !

Il était sonné et désorienté. Alvarez reconnut l’homme du commissariat. Il ne s’agissait pas de Wolf Blixen, reconnaissable à son infirmité.

Alvarez n'avait pas vraiment le temps. Il allait falloir faire la seconde injection, mais ce type semblait en savoir long sur la question. Il allait falloir qu'il reprenne ses esprits.
Alvarez menotte l'homme s'il possède des menottes et s'il est inconscient, sinon il essaye de lui attacher les mains dans le dos avec ce qu'il peut.

Il embarqua le type dans la voiture et retourna au commissariat pour rejoindre ses compères.

Pour le ligoter, Alvarez put utiliser les menottes trouvées au commissariat.
Ils retournèrent au point de départ. L’homme tremblait et suait à grosses gouttes.

- « Putain, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Vous êtes qui ? Vous me voulez quoi ? »

Il n’avait pas l’air de se souvenir ce qui venait de lui arriver.

En attendant, Juan avait fouillé la pièce secrète. Pas de jaguar, ni aucun autre animal. Il commençait à soupçonner quelque chose… De toutes façons, aucun animal n’aurait pu entrer et sortir d’ici par des voies normales.

Par contre, il trouva dans les casiers 3 panoplies complètes avec :
Casque à lunettes de vision nocturne, gilet pare-balles, pistolet taser, matraque et menottes.
Il y avait aussi un rossignol électronique, pour ouvrir toutes les serrures.

Bref tout l’équipement pour s’infiltrer et neutraliser une cible.

Alvarez regarda sa montre.
Ils avaient approximativement deux heures pour en apprendre le plus sur leur prisonnier et pour comprendre comment le soigner. Après il pourrait se retransformer.

"Ce que je veux ? Comprendre ce qui t'arrive bordel et te soigner ! T'as failli me trancher en deux !
Désolé de te garder attaché, mais j'ai pas envie que tu repètes un plomb.

Pour commencer, on va retourner de là où l'on vient et voir si dans cette foutue mallette il y a de quoi te soigner. J'ai réussi à l'ouvrir et t'ai injecté une dose de stabilisant. Il reste un autre médoc.

On est tous dans la même merde.
Ils ont foutu un bordel monstre, ils ont ravagé la moitié de la ville et maintenant, c'est nous qui payons la note.
Il va falloir se serrer les coudes l'ami.

Mon nom est Alvarez."

Sur ce, Alvarez fit demi tour et retourna au commissariat.

4 Octobre – 13H50


Il tremblait et était agité de tics.

- « Oui, oui, c’est ça ! Voilà. Le produit.
C’est le truc qu’ils font pousser au zoo. C’est à base de plantes ; ça devrait me faire du bien. Hé hé hé… ça fait du bien à tout le monde, d’ailleurs. Ça ouvre l’esprit, comme ils disent… Et puis ça évite de partir en sucette. Comme tous ceux qui ont reçu le traitement. »

Il poussa tout à coup un grand hurlement !

- « AAAaaaaah ! Putain de produit ! Non, non, faut pas en prendre ! Je veux pas devenir leur esclave. Ils m’ont fait faire des trucs… des trucs atroces. Je veux plus ! »

Et il éclata en sanglots. - Puis soudain sombre et inquiétant :

- « Parce que je sais pas qui t’envoie, Alvarez, mais… je les connais. Ils vont vouloir faire le ménage. Rien laisser derrière eux. Ni personne. C’est comme ça que ça marche, hein ? »