Lumière Noire (suite)

"Qu'est ce que Jonathan foutait à photographier une chanteuse posant à poil sur le bureau présidentiel ?
Une chanteuse maitresse d'un président ?
On aura tout vu. Monde de merde comme disait George Abitbol.

Il semblerait néanmoins que Jonathan ait mis, par hasard ou non, le doigt sur quelque chose de croustillant. Cette bagnole est liée aux patrons de Gamma. Le président avait donc surement des liens avec l'institut pharmaceutique.

Quel merdier.
En allant chercher loin, on peut même se demander si la présidence a un rôle avec tout ça !

Elle est étrange cette marque sur ta main...
Une idée de ce que cela peut représenter ?"

Alvarez regarda s'il en possédait également une.

- « Oui, une chanteuse et un président, c’est inhabituel… Un journal satyrique avait pourtant indiqué qu’ils avaient dîné ensemble. Chez un type qui n’a pas raté sa vie, lui.

Mais je doute que Jonathan ait fait ça sur commande de la présidence… C’est pas trop le genre à appeler à un photographe officiel pour la bagatelle ! Et c’est bien le seul cas, d’ailleurs.
Non, connaissant Jonathan, je crains qu’il n’ait encore usé et abusé de son charme naturel. Cela ne m’étonnerait pas qu’il soit l’auteur de cette mise en scène. »

Elle tourna et retourna sa main.

- « Par contre, je n’ai aucune idée de ce que sont ces marques. Ni comment elles sont venues là. Tu crois que ça a un rapport avec les labos pharmaceutiques aussi ? »

Alvarez n’avait aucune trace visible. Pas plus qu’il n’était dans la liste de Gamma.

" J'ai pas la moindre idée de ce à quoi peuvent correspondre les traces... A la limite, pour comprendre il faudrait voir si les autres cibles des deux Gammas en ont.

Mais je doute que cette marque soit anodine en tout cas. "

La nuit tombait et ils ne pourraient certainement pas en apprendre plus dehors aujourd'hui. Ils allaient devoir passer la nuit chez Jonathan et attendre le lendemain pour se rendre à l'église et au rendez vous avec Gamma 1.

Alvarez se dit que c'était peut être le moment d'essayer la plante qu'ils avaient trouvée au zoo. Il en informa Juan.

- « On pourrait aussi vérifier sur "feu monsieur Trois", et sur Juan, pour ces marques ? »

Mais avant de sortir, Alvarez remarqua sous la table de développement, un appareil luisant dans la lumière noire. Un téléobjectif maculé de sang.




Celui-ci était numérique. La dernière photo prise était encore visible… Elle datait du 1er octobre. 15 heures. L’ultime image capturée par Jonathan Yale.

Spoiler:

Au-delà de l’évènement lui-même, cela soulevait une étrange question.

- « Si ce sang est bien le sien, ça veut dire qu’il a pu voir ça et revenir chez lui ensuite…
Comment, par tous les saints, a-t-il fait pour survivre à cela ?! Aurait-il neuf vies ? »

Alvarez se précipita ensuite à l'étage afin de repérer dans la ville la zone du cataclysme.

Jonathan avait pu contempler la chose et survivre, mais Juan, Angelyna, Gamma, lui même et les autres également. Comment une telle aberration était elle possible ?

Juan avait il une marque ? Alvarez lui demanda de se rendre dans la salle photo afin de vérifier la chose. Dans le doute, Alvarez y retourna et s'y mit en caleçon. Il demanda à Angelyna de sortir. La marque n'était pas forcement située sur les avant bras.

Angelyne s’amusa de leur soudaine pudeur.

- « Oh ben, faut pas jouer les timides, j’en ai vu d’autres, et pas plus tard que tout à l’heure… Après avoir déambulé chez moi en tenue d’Adam, ça peut plus être pire !
Mais bon… je vous laisse entre garçons. »

Quant à lui, Juan se prêta sans sourire à cet exercice étrange, d’effeuillage entre hommes, dans une petite pièce sombre. Il ne faudrait quand même que son compagnon de route croît qu’il y prenait plaisir !
C’était la troisième fois qu’Alvarez le voyait nu depuis ce matin. Il allait finir par y prendre goût…

A force de s’épouiller comme deux curieux chimpanzés, ils remarquèrent en effet une trace subtile, à peine perceptible, au niveau du cœur de chacun. Elle luisait sous la lumière noire.
Il s’agissait de deux cercles concentriques, avec une marque supplémentaire en son centre. Pour Juan, deux barres horizontales parallèles ; comme un signe égal. Et pour Alvarez un simple point.

Après avoir essayé de voir si la marque était sur ou sous la peau, Alvarez invita Angelyna à les rejoindre.

"Putain, d'où ça sort ça ?
Comment a-t-on pu survivre à tout ce merdier ?"

Alvarez était de plus en plus perplexe.
Ce qui avait commencé comme une mauvaise gueule de bois avec un mal de crane tournait au complot national doublé d'une explosion gigantesque le tout sur une toile de manipulation génétique.

Il allait devoir profiter de la nuit pour rassembler ses idées et se remémorer les éléments de l'intense journée qu'il venait de vivre.

"Ca me dépasse cette marque...
Pour ma part, je me suis réveillé ficelé sur une chaise dans un zoo. J'avais été attaché là par deux types que je soupçonnais de trafic d'animaux. Ils ont peut être pu me faire cette espèce de....... tatouage.
Et vous ?"

- « Moi je me suis réveillé tout nu dans la rue, alors… je sais pas ce qui a pu se passer entre mon arrivée en camion et ce matin. »

Ces marques l’intriguaient au plus haut point.

- « En fait, ça me rappelle quelque chose… Des signes que l’on voit au pays. Sur les vieux monuments. Mais cela serait idiot, absurde.
Je vois pas non plus pourquoi on aurait ces marques. J’avais pas ça, avant. »

Et à bien y regarder, il y avait une petite différence. Les traces sur Juan et Alvarez étaient plus estompées, plus en filigrane que la marque d’Angelyne, aux contours bien nets, très précis.
C’était exactement ça. Comme la différence entre le filigrane d’un billet, et la valeur lisible inscrite dessus.

- « Euh… excusez-moi les garçons, mais moi je ne vois rien du tout. Enfin, sur vous… Je vois juste les points sur ma main… C’est grave, docteur ? »

Elle plongea le regard dans son décolleté… Mais Angelyne n’avait rien de visible non plus sur la poitrine.

- « Je sais pas comment vous faites, mais apparemment, vous voyez plus de choses que moi. »

Une idée vint à Alvarez.

"Des signes du pays dis tu ?"

Il fouilla son sac pour sortir le magasine qu'il avait chopé dans le bureau du directeur du zoo. Il l'avait parcouru des yeux le matin même, il y était question du Yucatan. Alvarez le feuilleta à la recherche d'une illustration ressemblant à celles qu'ils avaient près du coeur.

Une image apposée là en simple décoration, dans la mesure où elle n’apportait rien au propos du dossier, représentait effectivement des signes semblables aux leurs.
Il y avait même un personnage tacheté évoquant un jaguar.
La légende indiquait : Codex Dresde Lamina, planche 8.





Juan ajouta :

- « Je connais, ça… Les barres et les points, c’est des chiffres. Et au dessus, y’a un squelette, un homme jaguar et un homme oiseau. Mmm… je crois que c’est des dieux, les trois là. »

" Des nombres ?
Cela sous entend qu'Angelyne et nous aurions des numéros ?

Ce qui est étrange, c'est qu'elle est sur leur liste et nous non, mais également que nos numéros soient tatoués différemment.

Après la Bible du photographe, nous voilà avec l'un des rares textes Maya."

Alvarez essaya de repérer le signe qu'il avait sur le torse sur la plaque.

La marque d’Alvarez ressemblait à l’un des glyphes, le cinquième à gauche en partant du bas.



Mais à y regarder de plus près, son signe était aussi proche de ceci :

Angelyne était effectivement frappée par la similitude entre ce qu’elle avait dans la main et les nombres maya.

- « Je crois qu’ils ont un rayon histoire et archéologie, à la librairie en face de chez moi. On pourra jeter un œil, si vous tenez à savoir de quoi il s’agit. »

- « Pas besoin. Je ne sais pas qui sont les personnages du bas, mais je reconnais les dieux. C’est Ah Puch, dieu de la mort, puis l’un des dieux jaguar, peut-être le soleil noir, et enfin l’oiseau serpent, Kukulcan. Ce sont des dieux rivaux, qui ont chacun leur domaine. Mais on en a déjà parlé, avec Alvarez. »

Juan était tout fier, d’étaler sa science, et de pouvoir à nouveau jouer les guides bon marché.

" Le soleil noir ? "

Alvarez marqua un temps d'hésitation.

" Pour la librairie, un bouquin pourrait nous apprendre le sens réel de nos signes. S'ils correspondent à un numéro, lequel ?

J'ai un peu du mal avec la mythologie et la religion en général. Mais les analogies commencent à être frappante et troublante.
On se retrouve avec trois dieux rivaux : la mort, un jaguar et un serpent/oiseau. Aujourd'hui on a croisé : des morts, un jaguar, un anaconda et un vautour.
Il se trouve que le jaguar nous a sauvé d'un tueur employé par des pharmaciens. Je sais pas ce qu'il en est dans la mythologie Maya, mais chez les Grecs et les occidentaux en général, le serpent est lié à l'ordre des médecins.
Le jaguar est le "soleil noir"... Or il y a maintenant trois jours un phénomène étrange s'est produit. Une grosse explosion d'après la photo de Jonathan, qui a surement du être suivi d'une nuit assez longue qui peu être imputable à la poussière ou à un autre phénomène.
La glyphe que j'ai sur la poitrine me fait penser soit à un oeil, soit à un soleil noir. Les deux cercles concentriques me rappelle le phénomène de l'eclypse. Ce pourraient être deux cercles l'un devant l'autre, l'un est plus gros que l'autre, et non deux cercles imbriqués. Après je m'égare peut être un peu.

Le plus étrange reste que tout ce merdier tourne autour d'une seule chose : le Mexique.

Juan, je sens qu'il va vraiment falloir que l'on teste cette foutue plante que l'on a trouvé ce matin. "

" Le soleil noir ? "

- « Oui, c’est une forme nocturne du dieu soleil, quand il passe dans le monde souterrain, dont il est l’un des seigneurs. Il peut prendre l’aspect d’un jaguar. Et chez les aztèques, c’est Tezcatlipoca. On en a parlé en mangeant à l’hôtel.

Pour les chiffres, je veux pas m’avancer. Mieux vaut vérifier. Mais je sais qu’un point, c’est un. Et une barre, c’est cinq. Ensuite, de bas en haut, ça fonctionne par multiples de vingt. C’est un peu spécial.

Pour le serpent, je crois qu’il est surtout lié à la terre, comme dans d’autres mythologies. Et Kukulcan, le serpent à plumes, c’est l’union du ciel et de la terre. Mais le dieu jaguar aussi en quelque sorte. Sauf que lui, c’est l’union du monde solaire et du monde souterrain des morts. L’un est blanc, l’autre est noir ; l’un est moral, l’autre pas ; mais ils rivalisent pour être le meilleur, le plus grand. Et c’est ce processus qui est créatif, évolutif. »


Juan s’était emballé et parlait avec passion. La lueur dans ses yeux révélait son grand intérêt pour ces vieilles histoires. Une lueur peut-être un peu trop vive pour un simple hobby archéologique.
Il n’avait d’ailleurs pas caché avoir fréquenté des anciens, connu la forêt, et avoir goûté aux breuvages hallucinogènes qui déclenchent la transe.


- « Chez nos ancêtres, le way – notre esprit auxiliaire – est lié à la guérison. Et à la maladie aussi. Les initiés peuvent aussi bien guérir que provoquer le mal. Ou d’autres pouvoirs étranges, comme la divination et la manifestation animale… C’est encore une belle coïncidence avec ce qui nous arrive, non ? »

Mais il n’aurait jamais cru que ces histoires de vieux chamans se concrétisent un jour pour lui. Encore moins pour autant de gens à la fois !

- « Bon, on passe au salon alors…je vais servir le digestif. »

Juste avant qu’ils ne s’installent, le talkie-walkie ramassé sur l’exécuteur des basses œuvres grésilla un instant. Une voix sombre et rocailleuse.

- « Gamma Un à Gamma Deux… Tu me reçois ? » -

Angelyne sursauta.

- « Gamma Deux ? …Bon sang, qu’est-ce que tu fous ?! »

La jeune femme secoua la tête, effrayée, comme pour dire « non, non, nooon. Pas encore ! »

Alvarez mit en vitesse le masque de Gamma II et prit une voix qui se voulait la plus posée possible.

"Gamma Deux à Gamma Un... Désolé. Je me suis oublié j'ai pris mon temps. J'arrive."

- "Putain, tu te crois où ? ça fait trois heures que je poireaute !
Bon, t'es où ? Je te rejoins tout de suite ; ça ira plus vite. "

Alvarez regarda ses compagnons.
Attirer Gamma 1 à eux pouvait être plutôt avantageux.
Il hocha affirmativement de la tête en leur direction.

S'ils semblent être d'accord Alvarez répond :

"Chez le photographe. J'y suis retourné, un truc me titillait. J'avais un pressentiment fâcheux. il y avait une autre pellicule.
Je t'expliquerai.
Je ne bouge pas."

Juan acquiesça sans un mot, tandis qu’Angelyne s’était déjà exprimée sur la question. Puisqu’il ne l’avait pas écoutée, elle tapa sa tempe de l’index en faisant les gros yeux, pour bien signifier à Alvarez qu’elle pensait que c’était de la folie !

- « D’accord. Over » - fit la voix déformée de Gamma.

Puis ils entendirent un bruit dans le hall d’accueil. C’était le verre brisé de la vitrine, que quelqu’un piétinait. Ils n’étaient plus seuls.

Dès que la conversation fut fini Alvarez enfila rapidement la combinaison tout en demandant à Angelyne de virer tout se qui pouvait prouver qu'ils avaient été plusieurs à diner puis l'enjoignit d'aller se planquer à l'étage avec leurs affaires.
Il pria Juan de se dissimuler à proximité avec le fusil
soporifique.

Quand à lui, il se mit dans la chambre noire avec un cliché dans les mains. Puis il attendit Gamma Un.

Il eut à peine le temps d’enfiler la combinaison à la va vite. Juan et Angelyne se saisirent des assiettes et disparurent dans la cuisine.

Le fusil soporifique resta posé contre un mur du salon, Juan comptant le prendre au retour.