Le Seigneur de la Jungle

L’homme était bien là ; il venait juste de reprendre connaissance. Il était en train de chercher des vêtements utilisables sur les morts présents.

Alvarez nota deux choses. D’abord, ce n’était pas un collègue. Il ne l’avait jamais vu auparavant.
Ensuite, il avait au flanc trois blessures circulaires récentes, tout juste cicatrisées. Comme des marques de drains après opération, ou comme des impacts de balles.

Il déshabilla un infortuné gardien pour se vêtir au moins d’un slip. Un slip léopard…. Et il remarqua que son sauveur était réveillé.

- « Bonyour, amigo. »

Il avait un fort accent hispanique.

" - Bonjour... "

Alvarez se frotta la tête et s'assit. Attrapant son sac il prit une barre de céréale et en jeta une à l'inconnu. Il profiterait d'être de retour au complexe administratif pour retourner au distributeur de bouffe.

"Après avoir passé du temps au fond d'un trou en compagnie d'une araignée d'un mètre de long, tu dois avoir la dalle amigo.
Moi c'est Alvarez.
Désolé d'être abrupte mais... qu'est ce que tu foutais au milieu du parc ?"

Il attrapa la friandise au vol et la mangea avec un bon appétit.

- « Merci. Pour ça, et pour m’avoir aidé. Merci, vraiment.
Et en fait… j’en ai pas la moindre idée, comment je suis arrivé là ! Je me suis réveillé y’a pas longtemps, sans rien sur moi.
Je connais même pas ici. Les autres étaient plus là ; j’étais tout seul. Que des morts, partout.
Alors j’ai marché, sans savoir où. Y’avais plein des cactus, comme au pays. Et pis j’ai glissé dans le trou… »

Il réprima un frissonnement. Au souvenir de sa vision d’horreur.

- « Alors c’était vrai ? Toi aussi, tu l’as vue ? »

" Moi je me suis réveille ligoté au milieu de la zone des fauves. Puis je me suis frayé un chemin dans ce merdier en croisant des créatures improbables au sein d'une jungle luxuriante qui poussait à vue d'oeil.
Et oui je l'ai vue l'araignée... elle m'a légèrement amochée mais, j'ai du suffisamment l'entailler pour la tuer.
J'ai aussi pu croiser un jaguard et un vautour. Il nous faudra éviter la zone des reptiles, j'ose pas imaginer les serpents...

Et malgré ces aventures, t'as un nom ?"

Tout en parlant Alvarez enleva son tee-shirt et sorti les médicaments trouvés précédement afin de traiter ses plaies.

- « Si. Juan. Juan Suarez. Je viens du Mexique.
On est arrivés y’a pas longtemps. Avec ma sœur. On m’a promis un travail ici, au zoo. C’est un passeur qui nous amenait à Epsilon en camion.
Je devais venir jusqu’ici, mais je me souviens pas comment je suis venu… Je me retrouve direct au zoo. Et pas de travail !
Même plus d’Epsilon… »

Pendant qu’Alvarez se déshabillait pour se soigner, lui s’habillait avec ce qu’il trouvait sur les morts.
Cela portait peut-être malheur ? Mais pas le choix. Il n’allait pas rester déguisé en Tarzan…
Juan cracha par terre, pour conjurer le mauvais sort.

Alors il remarqua les traces de blessure qu’il avait au flanc. Il passa sa main dessus. Qu’est-ce qui lui était arrivé ?

- « Je comprends rien à ce qui se passe, ici ! C’est un mauvais rêve ! »

"Je t'ai retrouvé inconscient dans une fosse surplombée par une araignée. Les blessures sont soit inhérentes à ta chute, soit elles sont imputables à l'araignée. J'ai quelques médicaments et bandage. Je me suis réveillé non loin de l'infirmerie.

Il faudrait que l'on quitte les lieux assez rapidement. La jungle ne s'arrête pas de grandir. Plus ça pousse, moins on verra venir les fauves.

Je bosse ici depuis quelques temps, je sais à peu près où se trouve la sortie mais... qui sait ce qui se trouve entre elle et nous..."

Une fois ses bandages effectués, Alvarez retourna au distributeur de sucrerie qu'il avait précédemment cassé afin de reprendre des conneries à manger. Il revint, en avala plusieurs et en donna d'autres à Juan.

" J'ai un fusil, 10 fléchettes soporiphiques et une machette... Que préfères tu ? "

- « Tu crois ? C’est l’araignée ? »

Il n’avait pas la moindre idée des traces laissées par ces bestioles. Mais ce qui était sûr, c’est qu’il avait déjà un peu cicatrisé. Donc ses blessures devaient dater de… combien ? Quelques heures ? Quelques jours ?
Encore un truc qu’il avait du mal à expliquer.

Il enfourna dans les poches d’un blouson volé autant de sucreries qu’il pouvait. Ça ferait tenir un peu.

- « Merci, c’est sympa. Je veux bien la machette. Je sais pas vraiment tirer. Et par contre, je connais un peu la jungle. On pourra s’ouvrir un chemin si ça pousse trop. »

Pour être sûr, il vérifia aussi si sa sœur se trouvait parmi les cadavres. Il avait le coeur serré à ce moment. Il espérait de toutes ses forces qu’elle n’y soit pas.

- « On y va quand tu veux. Au fait, à tout hasard, tu sais pas ce qui s’est passé dans cette ville ? »

"Pas la moindre idée. je me suis réveillé attaché à une chaise avec pour unique souvenir une éblouissante lumière suivit d'un trou noir de 36 heures... Ensuite, j'ai découvert ce spectacle...

J'ai trouvé ce journal et quelques documents dans le bureau de Rollo Lee, le directeur du zoo... C'est assez étrange.

Mais je t'avouerai que pour le moment, mon unique préoccupation a été de me tirer d'ici, sans réel succès d'ailleurs, plus que de comprendre ce qu'il se passait. J'ai tenté de monter sur le piton rocheux qui surmonte le parc mais j'y ai trouvé un jaguars et j'ai donc piteusement fait demi-tour."

Alvarez indiqua les documents dont il parlait qui se trouvait quelque part par terre. Pendant que Juan y jetait un oeil il alla se rincer le gosier à un lavabo et remit sa chemise.


(les documents sont détaillés un peu plus haut dans le post... )

- "Une lumière, oui, moi aussi je me souviens. Quand on était dans le camion. Y’a eu un bruit terrible et on a eu un accident… Ensuite c’est plus flou. Je sais pas. J’ai peut-être marché jusqu’ici."

Il parcourut les papiers et comprit que son offre d’emploi n’était pas un hasard. Il y avait quelque chose d’inquiétant à l’idée d’avoir été choisi pour ses origines ethniques ou géographiques.

- "On dirait qu’y a un fan de mon pays dans le coin ! Viva Mexico ! Mais c’est vrai que c’est bizarre… Et si t’étais attaché, je crois pas qu’ils nous voulaient du bien.

Dis moi, tu serais pas indien toi aussi ? Hein ? J’ai l’impression qu’on a un point commun."

Tout en parlant, Alvarez mit une nouvelle fléchette soporiphique dans le fusil. Il en garda une autre à portée de main dans sa poche de pantalon de manière à recharger le plus rapidement possible en cas de problème.

"Je suis mexicain, mais je commence à perdre mon accent. Mon prénom veut tout dire nan ? Il fait pas vraiment "gringo" !

A vrai dire, ceux qui m'ont attaché étaient des collègues. Ils faisaient du trafic d'animaux, j'ai constaté quelques disparitions. Je les ai suivis, ils m'ont grillé et j'ai fini attaché sur une chaise. C'est à ce moment là que la lumière surgit et à mon réveil ils étaient tous les deux morts.

J'ai retrouvé les corps ainsi qu'un portable. Le dernier numéro appelé était Siegfried, le Directeur des restructurations internes de Baumann Eucalyptus Laborator.

Si la chose m'a préoccupé un instant, j'avouerais l'avoir rapidement mis de côté vu la situation qui nous entoure.

A moins que tu n'ais une meilleure idée, j'te propose que l'on se casse de là rapidement. Le parc n'est pas si grand que ça, j'espère que la ville sera dans un meilleur état."

Alvarez emmena Juan dans le bureau de Rollo qui devait toujours gésir éventré sur sa chaise afin de montrer à son nouveau compagnon à quoi ressemblait le zoo sur une carte des lieux.

"Bon. Nous sommes là.
La sortie la plus proche est.... ici.
Je te propose d'éviter les coins craignos comme celui des reptiles ou des ours blancs et de privilégier les animaux inoffensifs.
En théorie... la traversée est rapide, mais là j'ai l'impression de vivre le Vietnam...

Partant ?"

Juan enregistra toutes ces infos. Du trafic d’animaux et un groupe pharmaceutique aux pratiques suspectes.

- « M’étonne pas ! C’est des gens, y se croient tout permis ! Déjà ma sœur a eu des ennuis au pays avec une société de cliniques privées. Ils lui ont bousillé la santé, et quand on a voulu porter plainte, ils ont envoyé des avocats nous menacer chez nous.
Ils ont même payé la police, pour mentir et nous accuser de vol. Des vraies ordures ! C’est pour ça qu’on est partis.
Sinon, ils prenaient la maison de nos parents et nous mettaient en prison. Alors on est venus en Europe pour qu’ils laissent tranquilles nos parents. C’est mieux comme ça. »


Puis Juan regarda la carte, en essayant de pas trop faire attention au corps éventré. Manque de bol, en voulant l’éviter il marcha dans une flaque de vomi… Oups !

Il acquiesça au plan d’Alvarez.

- « Le Vietnam ? - C’est pas ma guerre, mon colonel ! » fit-il en imitant la voix rauque de Rambo.

- « Allez, on y va. D’accord pour les petites bébêtes. »

Juan brandit sa machette, prêt à tout.

Heureusement, son compagnon n'avait pas l'air de paniquer. Lui crevait de trouille mais faisait son possible pour garder la tête froide. Il aurait le temps de repenser à leur inconscience et à la dangerosité de leur périple à venir une fois qu'ils seraient sortis de l'enfer de la jungle.

Avant de partir Alvarez sorti la boussole pour s'assurer de la direction à suivre. Le parc n'était pas si grand que ça mais perdu en pleine jungle, sous le couvert des arbres, il n'était pas sur de pouvoir garder ses repères. Errer dans le parc comme une âme ne l'enchantait guère.

Une fois assuré de la direction il se dirigea vers la porte après avoir ramassé les papiers trouvés dans le bureau de Rollo.

"En route Juan, vers l'infini et l'au delà ... du parc !"
S'esclama-t-il un sourire forcé aux lèvres.

Ils se frayèrent un chemin à travers la végétation, entre la mare aux pingouins et l’enclos des lémuriens. De Madagascar.
Les pingouins n’étaient plus visibles. Ces petits malins s’étaient sûrement échappés du zoo bien avant la catastrophe… Ou ils avaient juste coulé au fond de l’eau.

En passant à coté de la fosse de l’éléphant, Juan et Alvarez virent le corps de son soigneur.
Ecrasé, écrabouillé, ratatiné.
Le cadavre était à leur niveau. Et en bas, aucune trace de l’éléphant ; alors que l’accès à la fosse était toujours fermé.
Comment un tel animal avait-il pu disparaître ? Les hypothèses donnaient le vertige.


Enfin ils atteignirent la sortie du zoo. Juan remarqua plusieurs massifs de plantes connues en Amérique latine pour leurs propriétés psychotropes. Il y avait la même que celle prélevée par Alvarez, ainsi que deux autres types.
On aurait dit le petit jardinet privé d’un hippie mexicain !

Juan frappait d’estoc et de taille avec sa machette, libérant une voix praticable. Cela soulageait aussi. Et donnait l’impression que l’homme avait encore prise sur la nature. Une nature qui avait l’air totalement déréglée, devenue folle.
Les visions d’horreur commençaient aussi à lui retourner l’estomac. Il réprima l’envie de se soulager comme Alvarez.
Tous ces morts ! On aurait dit que les hommes n’étaient plus que des mouches écrasées, prises dans les fils d’une immense toile végétale.

Quand il vit les plantes, Juan s’exclama :

- « Oh je connais, ça ! C’est ce que prenaient mes ancêtres dans les cérémonies religieuses. Y’en a qui en prennent encore, mais c’est plus les amateurs de LSD. »

"Vu ce que l'on traverse et ce que l'on vit, j'ai comme l'impression que les effluves des plantes s'étalant sous nos yeux traversent également nos cerveaux.

Qu'est ce que tout ça fout au zoo ?!
On se croirait au pays alors que l'on a pas quitté Epsilon !"

La proximité de la sortie emplissait Alvarez de joie mais la situation, qui le dépassait complètement, commençait à l'énerver.

"Espèrons que les réponses se trouvent en ville..."

Sur ces quelques mots, Alvarez gagna la sortie.

Il y avait une bouche de métro juste devant le zoo. Au sud, une immense colonne de fumée jetée sur le centre ville.
Et du nord-est provenait une lointaine clameur, une foule de voix, comme aux abords d’un stade pendant un match.

- « Tu entends ? – On dirait des gens au loin. »

Juan reconnut l’avenue qui l’avait mené jusqu’ici. Il avait marché depuis un grand carrefour, plus au sud.
Il était inquiet, pour sa sœur surtout. Peut-être était –elle encore là-bas ? Il aurait bien aimé vérifier, fouiller le coin.
Dans sa mémoire embrumée, il avait le souvenir d’un cri, un grand cri perçant, celui d’une femme… Il devait en avoir le cœur net !

- « Moi j’aurais bien été voir là-bas… pour ma sœur… Toi, t’en penses quoi ? »

Il désignait le bout de l’avenue, dans la direction opposée aux voix. Il faut dire aussi que des cris dans une ville en flammes, désertée, ça foutait un peu les jetons !

"- Quoi ta sœur ?
Tu veux aller jusqu'où ?
Des cris viennent du nord-est, ils ont peut-être besoin d'aide.
Ils sauront peut être ce qui est arrivé.
Plus nous serons, plus il nous sera aisé de nous en sortir.
Non ?"

- " Oui, je suis venu en ville avec ma sœur. Si j’ai survécu, elle aussi, elle doit être quelque part. Enfin j’espère…"

Il hésita, mais il ne pouvait se résoudre à ne pas vérifier, à ne pas faire ce qu’il aurait dû faire s’il avait été dans son état normal : La chercher, la protéger, comme il l’avait promis à leurs parents. Comme ils se l’étaient promis l’un l’autre.

- « T’as raison ils savent peut-être quelque chose, mais d’un autre côté, si ils sont déjà très nombreux, je crois pas qu’on peut les aider plus. »

Le vent apporta une nouvelle clameur, les hourras de toute équipe de supporters !

- « En fait, on dirait pas qu’ils ont besoin d’aide… », dit-il d’un ton inquiet.

Quels genres de gars pouvaient se réjouir dans un moment pareil ?

"- Heu non .... nous peut être...
J'aimerai bien connaitre les causes de cette hilarité, savoir s'ils sont un danger ou non. Savoir ce qu'ils foutent à hurler comme ça alors que la situation est catastrophique.

J'ai trouvé des jumelles dans le bureau du directeur, nous n'aurons pas à trop nous rapprocher. Il suffit de monter au premier étage d'un immeuble donnant sur ces gens et de jeter un oeil.
S'il y a un danger, j'aimerai le connaitre. Et puis, s'il n'y en a pas, ils pourraient avoir des informations ou un moyen de locomotion.
Nous pourrions éventuellement trouver des vélos dans une cage d'immeuble.

Ensuite nous pourrons aller au sud, à la recherche de ta soeur.
Nous ne perdrons pas plus de 30 minutes.
Ca te va ?"

- « Si, très bonne idée ! Je te suis ; à pied, à zèbre, ou à vélo. Comme ça on verra sans être vus. C’est bien, comme ça. »

Non pas qu’il soit particulièrement froussard ; en plus il aimait bien le foot ; mais les hordes de supporters fanatiques l’avaient toujours un peu dégoûté !
Une foule en liesse pouvait vite devenir une foule en colère. Juan avait déjà vu plus d’un match mal se terminer.

3 Octobre – 12 Heures.


Loin derrière eux, retentit des profondeurs végétales du zoo un impressionnant feulement.
Les humains partis, le jaguar revendiquait autorité sur ce territoire ! A présent, il était chez lui.




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