Le Seigneur de la Jungle

L’espoir fait vivre parait-il… Encore un adage qui allait s’avérer faux se dit-il dépité face à l’absence d’électricité. Il est vrai qu’il avait fondé peu d’espoir sur le micro-onde, mais ignorant tout de la situation actuelle du monde, il s’était néanmoins efforcé d’y croire. Il allait falloir trouver un réchaud de camping et surtout rencontrer des survivants.
Face à tous ses men in black jonchant le sol, il craignait le pire quant à l’hypothèse de croiser ses semblables hors du zoo. Pourvu que la cage aux fauves ne deviennent pas son abris 13 et le jaguar son « dogmeat ».
Pour manger il ne lui restait plus qu’à défoncer la machine à connerie. Le distributeur automatique de bouffe. En un sens, il avait toujours rêvé de le faire.

Après s’être sustenté il regagna l’entrée du complexe histoire de pouvoir garder un œil sur l’extérieur. Là il sortit la seringue de Karim. Il hésitait quand à la substance qu’elle pouvait contenir. A priori, ca avait été le dernier geste de son collègue. Mais aurait-il été effrayé au point de s’administrer une dose de cyanure ou tout autre poison mortel servant à « piquer » un animal malade ?

Dans la seringue on avait introduit une cartouche, comme un tube à essai en plastique. Elle contenait un produit blanc laiteux, et pouvait être retirée. Mais impossible de savoir ce que c’était vraiment.
Il n’y avait rien d’indiqué, et le produit n’évoquait aucun traitement connu à Alvarez.

Il se demanda si la végétation n’avait pas encore poussé, à l’extérieur…
La mare aux flamants roses s’était muée en mangrove couverte de palétuviers !

Un fracas provint soudain d’un bureau derrière lui. La chute d’un objet, ou un claquement de porte. Cela venait des bureaux de la direction.

Après avoir balancé une chaise dans le distributeur, Alvarez avait pu se goinfrer de sucrerie. Le ventre plein, il se sentait un peu mieux. Près à tenter de réfléchir pour se sortir du pétrin dans lequel il était fourré jusqu’au cou. Mais malgré son inquiétude, il ne pouvait s’empêcher d’admirer la faune luxuriante qui s’étalait et croissait devant lui. Cela relevait du miracle… il avait du mal à envisager une explication rationnelle à tout ça. Ce genre de phénomène décalé était généralement dus, dans les films, à une intervention extra-terrestre ou à l’impact d’une météorite. A priori, nul cratère ne se trouvait au milieu de cette mangrove exubérante.

Le mieux était probablement de quitter le zoo et de se rendre en ville, à la recherche de survivants. Au moment où il allait passer la porte, un bruit retentit dans son dos. Refermant l’huis, il déposa son sac au sol et épaula son fusil.
D’une voix qu’il espérait claire il scanda tout en pointant son arme vers le bureau :
« Qui est là ? »

Pas de réponse. Derrière la porte, un son étrange. Une sorte de flap flap étouffé.

Il y avait quelque chose qui bougeait dans cette pièce, c’était sûr. Le directeur du zoo serait-il toujours en vie ?

Alvarez se dirigea jusqu'à la porte, conservant le fusil calé à son épaule. Il se plaqua au mur et ouvrit la porte d'une main.

Attendant un instant, il avança rapidement la tête afin de voir ce qui se trouvait dans la pièce.

Monsieur le directeur n’avait pas été aussi chanceux que lui, finalement. Il avait subi le sort qu’Alvarez redoutait tant sur son rocher.
Un grand rapace, comme un genre de vautour majestueux, lui dévorait les entrailles !
Le grand condor… et le dirlo aussi ; pour toujours.

L’oiseau était entré par la fenêtre ouverte, et avait renversé au passage une lampe sur son pied, ainsi que quelques dossiers. Des pages en jonchaient le sol, aux côtés du mort.

Dès l’entrée du gardien, l’animal déploya ses ailes et bondit jusqu’au rebord de la fenêtre. Il lui adressa même un regard méfiant, par-dessus son épaule,

Si les corps intacts et inertes qui jonchaient le sol ne lui avaient fait aucun effet, la vue de son directeur éviscéré lui souleva l’estomac. Il tomba à genou et se vida les tripes, vomissant les sucreries qu’il avait eu tant de mal à trouver. Il était quitte pour retourner au distributeur et faire quelques réserves, pour plus tard…

Après quelques minutes nécessaires pour retrouver son calme, Alvarez entreprit de jeter un œil au bureau. Rollo Lee, le directeur, obnubilé par les créatures sauvages et les « belles poulettes », toutes aussi dangereuses les unes que les autres, possédait, avec un peu de chance, une vraie arme pour calmer les premières et impressionner les secondes. Alvarez ne serait pas non plus étonné de trouver des jumelles qui servaient au dirlo pour les espionner et observer les débardeurs des visiteuses l’été.
Alvarez c’était rarement servi d’une arme réelle, hormis d’un fusil de chasse à de très rares occasions quand il était au Mexique. Mais vu sa situation actuelle, perdu au milieu de morts et d’une faune luxuriante et dangereuse, il n’avait d’autre envie que de se sentir rassuré par la présence d’un canon froid. Même s’il n’était pas certain de savoir s’en servir efficacement.

Après sa fouille il se dirigea vers le distributeur de nourriture, rempli son sac à dos contenant déjà le portable de Karim, des fléchettes anesthésiante et des bandages avant de partir à la rencontre de son destin, en retournant à l’entrée du complexe administratif.

Etaient-ce ses tripes qui le trahissaient ? Alvarez crût voir les yeux du rapace s’illuminer, d’une lueur intense, avant qu’il ne prenne son envol dans un souffle puissant !



Il y avait effectivement un fusil de chasse au mur, et les munitions dans un tiroir du bureau. Hélas, c’étaient des cartouches à blanc.
Au fond, le directeur n’était pas un vrai méchant, et il n’aurait jamais tiré sur ces pauvres petites bêtes inutiles…
En fouillant, Alvarez put s’emparer de jumelles, d’une machette, et d’une boussole aussi. Tous ces souvenirs d’un passé colonial révolu trouvaient leur complément avec un chapeau digne de cette époque !

Il remarqua également la une du 1er Octobre, étalée sur le bureau juste au dessus d’un playboy.
Différents dossiers étaient stockés là. D’abord, toute la comptabilité, avec recettes, commandes et factures. Rien que de très indigeste.
Rollo Lee conservait également ici les correspondances avec sa propre direction, et avec d’autres zoos. Les échanges de pensionnaires étaient fréquents.

Et par terre, un dossier éparpillé autour de son corps, renversé par l’animal. En passant, c’est le mot ‘Mexique’ qui attira l’attention d’Alvarez. On y parlait même de sa terre natale, le Yucatan…



Une fois sorti, Alvarez avait l’étendue vierge face à lui, la forêt tropicale à traverser ! Cet endroit ressemblait de moins en moins au zoo qu’il avait connu.

Le regard d’Alvarez oscillait entre le bureau et la jungle qui l’attendait. Dedans, il était plus ou moins en sécurité. Il avait un peu de nourriture, surement à boire. Dehors, il serait exposé à toute sorte de fauve. S’il attendait, il prenait le risque de voir la situation s’aggraver et la végétation envahir le complexe. Mais…. D’un autre côté, les magazines aperçus dans le bureau du directeur l’intriguaient.
Quel rapport pouvait-il exister entre ce foutu rapport sur le Yucatan que lisait Rollo et la jungle extérieure ?

Coïncidence ou non ? La chose était trop frappante pour mettre ça sur le dos du hasard… A moins que ce ne soit le fruit de sa propre psychose et son inquiétude qui cherchaient quelque chose de tangible à quoi se raccrocher. L’irrationalité de la situation extérieure le poussait à occulter le hasard de son raisonnement ?

Après quelques minutes d’hésitation il retourna finalement au bureau, pris les différents papiers intéressants : le journal et le dossier sur le Yucatan ainsi que les feuilles inhérentes à la gestion des animaux.

Il entreprit de fermer toutes les portes avant de se poser dans un coin de la pièce, le casque colonial sur la tête, machette et boussole à ses côtés et le fusil posé contre le mur. Il vérifia que la fléchette tranquillisante était bien utilisable et jeta un œil au dossier sur le Yucatan après avoir regardé les titres de la couverture du journal.


Il était passablement énervé, ayant l'impression de perpétuellement changer d'avis et d'être déstabiliser. Il tenta de se concentrer et tout en lisant, il commença à grignoter les sucreries précédemment ramassées. Il était certain d’une chose, tous ces gens étaient en vie le 1er Octobre. Là on était le 3.

Le fusil à fléchettes fonctionnait parfaitement, si jamais il en avait besoin.

Le journal parlait d’opérations industrielles, de danger terroriste, de la détention d’un tueur au Tartare, et des nouveaux soucis de santé d’une chanteuse à la mode.
Un autre article annonçait une exposition au Musée des Arts et Civilisations, sur le peuple maya.

Là encore, il s’agissait d’objets provenant de sa région natale, de vestiges laissés par ses propres ancêtres.
Malgré le poids de la modernité, Alvarez portait aussi dans son sang des siècles de croyances et de traditions indiennes, transmises par ses parents.
Le crâne qui trônait en première page était source de mystères, de légendes, et de prophéties d’un âge nouveau.



Au fil de sa lecture, il apprit que le zoo d’Epsilon avait volontairement fait l’acquisition de différents animaux en provenance du Mexique et du Guatemala :
Jaguar, rapaces, chauve-souris, araignées, reptiles, et même un éléphanteau, né en captivité au zoo de Guatemala City.


C’était une lettre de la direction qui inspirait cette politique. La société qui possédait ce zoo avait en effet exigé de Rollo Lee qu’il privilégie les transactions avec les zoos d’Amérique latine, en mettant l’accent tant que possible sur le Yucatan.
Même le personnel recruté était concerné par cette directive…

Et la majorité des animaux précités venaient bien de cette région. Comme lui.
Ceci était la volonté des propriétaires, un grand groupe pharmaceutique. BEL, pour Baumann Eucalyptus Laborator.

Les documents étaient contresignés par un certain ‘Directeur des restructurations internes’, Roy Siegfried.

Plus il lisait, plus Alvarez était décontenancé. Tout était relatif à son pays, à sa province, le Yucatan. La politique du zoo était étrange, les financements avaient également quelque chose d’inquiétant tout comme le coup de fil de Karim qui appelait un certain Siegfried.

Alvarez était définitivement perdu au sein de cet imbroglio. La situation paraissait improbable, tout était irréel.

Il fallait qu’il se barre. La jungle croissait à vue d’œil… Il allait devoir affronter le monde extérieur avant que la végétation n’attaque les bâtiments et qu’ils finissent par s’effondrer.

Il vérifia son matériel, avala quelques sucreries et de l’eau (s’il y en a), accrocha la machette à sa ceinture et se coiffa du chapeau colonial. Le fusil a proximité il scruta l’extérieur avec les jumelles. Une fois le repérage finit il allait se risquer dehors…

Il était paré. Une fois dehors, il dut s’avancer dans les herbes hautes. Il longeait cette fois de l’extérieur les cages des fauves.
Seul trois d’entre eux manquaient à l’appel. Les dépouilles qu’il avait déjà aperçues n’avaient pas bougé ; ça au moins, c’était normal.

Juste après, il y avait la grotte aux chauves-souris. Et au-delà… en relevant la tête, Alvarez vit à flanc du piton rocheux, sur le versant opposé à celui qu’il avait escaladé, le corps d’un jeune homme à moitié dévoré !
Il pendait là, désarticulé, sans plus de chair en dessous des épaules, pantin d’ossements rougis et rongés.


Tout autour, c’était le bruissement des feuilles qui s’intensifiait, les craquements de racines qui se rapprochaient, et la jungle qui vibrait à l’unisson.

Quand un cri humain monta des profondeurs de la végétation : « Ayyyyy ! No…»

Alvarez n’avait qu’une envie : foutre le camp. Il avançait d’un pas fébrile mais décidé à travers la végétation luxuriante qui hantait le zoo. Voir pendouiller les restes informes de son collègue lui souleva le cœur et l’incita d’autant plus à hâter le pas.

Lorsque le cri survint, il hésita entre prendre ses jambes à son cou et se diriger vers l’origine du bruit. La témérité et l’altruisme prirent finalement le dessus et il avança à pas de loup vers la zone d’où semblait provenir la plainte.

Il hésitait à répondre. Si c’était un fauve, cela attirerait irrémédiablement le félin mais est ce que cela changerait quelque chose ? Malgré tous ses efforts, chaque pas était une source de nuisance, que ce soit à cause du bruissement des feuilles, des craquements de branches ou du bruit de succion émis par son déplacement sur le sol boueux.
Il répondit sans crier, espérant se faire entendre sans que sa voix ne porte trop loin : « Qu’y a-t-il ? Qui êtes vous ? »

Si la végétation est très touffue, Alvarez opte pour la machette, conservant son fusil sur l’épaule. S’il peut voir à quelques mètres devant lui, il avance le fusil en joue.

Le chemin devenait plus difficile en progressant. Pas de réponse à son appel.
Il dut se frayer une voie pour atteindre l’origine du cri. C’était juste derrière un massif moussu, couvert de filaments blanchâtres.

Alvarez découvrit un homme, à demi enseveli jusqu’à la taille, dans un trou de terre meuble.

Un glissement, un sifflement stridulé se rapprocha, juste au dessus de lui…

L’horreur descendait d’un arbre ! Un monstre velu à crochets, à huit yeux et yeux pattes… de plus d’un mètre de large !!





On l'appelait la Venezuelian Suntiger !

Alvarez jura silencieusement.
Retenant sa respiration il cala le fusil au creux de son épaule et visa consciencieusement. En théorie, les doses soporifiques des fusils assommaient un cheval. Ça devrait aller pour une araignée géante... A moins que son propre poison n'annule l'effet de la fléchette...

Alvarez n'avait guère le temps de disserter intérieurement et, après avoir raffermi sa prise, il tira sur la Venezuelian Suntiger.

Une fois le coup tiré il lâcha son arme pour empoigner la machette.

Le projectile s’enfonça dans la masse velue. Mais cette araignée était résistante et du genre agressive.
Le soporofique ne fut pas suffisamment instantané ; la créature était quasiment sur lui.

Elle dressa ses pattes avant en posture d’attaque, et se jeta sur Alvarez, tous crochets dehors !

Pendant une fraction de seconde Alvarez eu envie d'agir tel Frodon et d'éviscérer la bestiole en lui plantant la lame dans la gueule.
Mais le courage manqua et le naturel pris le dessus. Il se contenta de donner un coup de machette dans la patte la plus proche en reculant avant d'effectuer une chute avant de judo sur le côté et de s'écarter du monstre.

Un choc, un contact dégoûtant avec les pattes velues, une haleine fétide si proche qu’Alvarez se crut déjà avalé !

Mais son réflexe de repli fut salvateur. Révélateur aussi…

Il bondit si loin que son roulé-boulé l’emporta à plus de quinze mètres de là !!!

En moins d’une seconde, Alvarez avait fait un saut qu’aucun athlète humain n’aurait pu réussir. Il était debout sur ses pieds, incrédule.


Le soporifique devait commencer à faire effet. L’araignée tourna sur elle-même, décontenancée et ralentie.
Elle en avait pourtant chassé des criquets ! Mais celui-ci était particulièrement vivace.

"Waaaouh."

Incrédule Alvarez regarda l'araignée et surtout la distance à laquelle il se trouvait d'elle à présent. En scrutant le monstre il avait l'impression de se retrouver au milieu d'une expérience ratée (ou réussie à ses dépens) du professeur Wayne Szalinski. Mon Dieu qu'elle était énorme cette foutue bestiole...

Malgré ses facultés physiques qui semblaient s'être miraculeusement améliorée, Alvarez n'osait pas tenter de donner le coup final à la bestiole. Il la regardait tituber, attentif à ces mouvements. Ces saloperies sont rapides, il ne devait pas se laisser berner par la taille.

Si une occasion en or se présentait, il la saisirait, sinon il jouerait au chat et à la souris avec l'araignée, se contentant de reculer pendant qu'elle avançait histoire .... de rester hors de portée.

Heureusement, aucune paire de lunettes géantes ne vint l’observer de près ! Mais dans cet immense jardin, sa vie ne tenait effectivement qu’à un fil ; il n’était qu’un insecte parmi d’autres.

Il remarqua d’autres toiles, et d’autres trous dans le sol. L’endroit n’était pas sûr.
La mygale s’approcha de l’homme tombé dans l’un de ces trous. Il était non seulement inconscient, mais totalement nu !

Curieusement, l’araignée recula aussitôt, avant de s’immobiliser. Elle se recroquevilla sur elle-même et ne bougea plus.


Alvarez ne réalisa qu’après coup une vive sensation de brûlure à la poitrine. Ce n’était qu’une estafilade sans gravité. Il saignait légèrement.
Pourtant, il avait la tête qui commençait à lui tourner.

"Monde de Merde", disait un certain George et Alvarez prenait précisément la mesure de cette adage. Il y a peu il réalisait une prouesse hors du commun et maintenant ces forces l'abandonnaient. Lui qui se voyait en héros, sauvant l'homme enterré, il allait devoir ravaler son altruisme et se carapater loin de là histoire de ne pas finir telle l'infortunée victime gisant ensablée en face de lui.

Avant d'être submergé par le poison il planta sa machette au plus profond du corps de l'araignée à plusieurs reprise en accompagnant son geste d'un : "- CRÈVE SALOPERIE" à peine audible.

Si dans les quelques médicaments ramassés à l'infirmerie il y a quelque chose pouvant soigner le mal qui l'assaille, il s'en sert.

Puis il ramassa son fusil, prit alors ses jambes à son cou et,
essayant de se repéré, emprunta le chemin des ...... locaux administratif d'où il venait.



(si le type est "juste" dans le trou, je le traine... s'il est enterré, je me barre sans lui... dur loi de la jungle)

L’araignée géante finit par s’écrouler, vaincue dans son sommeil. Mais chaque geste violent avivait la blessure d’Alvarez ; il pouvait sentir le sang battre à ses tempes, le souffle lui manquer, et sa vision se troubler.
Et pas d’anti-poison sous la main. Si le zoo en conservait quelque part, c’était sûrement dans les locaux du vivarium… mais, allez savoir ce qu’il pouvait y avoir là-bas ! Et de quelle taille ?


L’homme inconscient pouvait facilement être extrait de son trou. Alvarez l’attrapa donc par un bras pour le tirer hors de là.
Il avait le type latino-américain, le teint buriné avec des pommettes rondes et saillantes ; probablement un compatriote aux racines indiennes, tout comme lui.

Un peu plus loin, il vit deux, puis trois, puis quatre énormes pattes velues sortir d’un autre trou… Elles étaient rouges comme l’enfer, et il aurait même juré avoir aperçu de petites flammèches courir le long de ces pattes monstrueuses !


Alvarez se retrouva fort encombré, avec ses affaires, son fusil… et un homme nu. Pourtant, il agit avec toute la rapidité du gars confronté à un danger de cette taille… en courant. Aussi vite que sa charge le permettait.

En reculant rapidement vers son point de départ, il disparut derrière le rideau d’arbres pour retrouver les hautes herbes. Ici, ils étaient invisibles aux yeux trop nombreux de l’inquiétante araignée rouge.
Bien qu’une autre bête aurait pu s’y tapir, en l’attente de proie.


Jamais ce chemin maintes fois emprunté n’avait paru aussi long. La porte n’était qu’à quelques mètres. Alvarez soufflait comme un bœuf ; l’air lui manquait. La douleur le gagnait. Il sut à cet instant qu’il allait perdre conscience.
La seule chose rassurante dans ce cauchemar éveillé, c’était que l’autre homme empoisonné n’était pas encore mort ; il gémissait même parfois. Tout espoir de survie n’était donc pas perdu.

Plus le temps passait plus la situation empirait.
Même s'il n'était pas peu fier de sa victoire sur l'araignée monstrueuse, Alvarez n'avait pas le temps de s'enorgueillir.

Ses méninges patinaient dans la semoule, tout comme ses jambes qui devenaient flageolantes. Il croulait sous les fardeaux: son sac, la machette qui bâtait contre sa hanche, le fusil en bandoulière et son collègue à moitié conscient.
Le pire c'est qu'il était perdu au milieu d'une jungle, là où jadis se trouvait le zoo. Les animaux étaient monstrueux, il avait entendu des voix dans son crâne à plusieurs reprises, le jaguars et le vautour l'avaient regardé bizarrement... Il avait de plus réalisé une pirouette irréalisable et là, il venait de trainer bien plus qu'il n'aurait pu l'imaginer.

Tout en essayant de démêler ses pensées et l'irrationalité de la situation, il ne détachait pas ses yeux de la porte. Une fois de l'autre côté du mur il serait à l'abri, pour quelques heures. Il pourrait panser sa plaie.
Il se sentit défaillir... dans un sursaut de lucidité il lâcha son collègue et se coucha au sol afin de repousser vainement l'évanouissement de quelques minutes.
S'il pouvait trouver la force de ramper...

Un ultime effort porta Alvarez jusqu’au pas de porte. A peine avait-il franchi le seuil de quelques coudées, qu’il se sentit défaillir. Il dut tout lâcher, et se laisser glisser malgré lui dans un état second, fiévreux, englué dans une douce mélasse.

Son esprit tournait encore, mais le corps ne répondait plus.
Alvarez n’était pas inconscient mais paralysé, plongé dans un rêve diffus, dont toute sensation physique avait disparu.


Il se sentait tout petit, seul dans les ténèbres.

Seul ? Non, il était au centre d’un cercle. Des animaux qui l’observaient de haut.
D’un côté il y avait le jaguar et le vautour, auprès d’un caïman et d’un serpent.
De l’autre, une énorme chauve-souris qui le fixait la tête en bas.
Et derrière la chiroptère assoiffée de sang, quatre silhouettes humaines qui restaient dans l’ombre.

Des voix résonnèrent dans le lointain :

- « C’est lui ? »
- « Oui, c’est l’un d’eux. »
- « Il nous entend ? »
- « Oui, mais il ne sait pas ce qu’il voit. Ni où il est. »
- « Qu’allez-vous faire de lui ? »
- « Rien… pour l’instant. Il faut d’abord qu’il trouve sa Voie…Quand il aura choisi, la Voie lui dira quoi faire. »


La chauve-souris déploya ses ailes et prit la parole en ricanant.
- « A moins qu’on ne le détruise avant… »

Glaciale, une voix de vieille femme ajouta derrière elle :
- « Vous pouvez comptez sur nous pour faire tomber les têtes ! Il n’y aura qu’un seul chemin. Le nôtre ! »

Puis une main squelettique sortit de l’ombre pour désigner Alvarez d’un doigt décharné. Cette fois, c'est une voix masculine qui railla d’un ton sépulcral :
- « C’est un des premiers. Mais il ne connaît pas son domaine. Contrairement à nous… Partout nous serons sur son chemin. Et quand il viendra nous affronter, nous serons prêts. Ça, je peux vous l’affirmer. Pouvez-vous en dire autant ? »


Les quatre animaux répondirent tour à tour :

- « Seule la destinée le sait. »
- « Mais attendez qu’il ait trouvé sa voie… »
- « Attendez que nos représentants fassent alliance… »
- « Et vos comparses commenceront à nous quitter ! »


A ce moment là, Rollo Lee fit irruption dans le cercle, une fleur violette à la boutonnière, avec une théière à la main (et un perroquet mort dans l’autre) !

- « Voudriez-vous un peu de thé cher ami ? Une infusion peut-être ? »

Puis Alvarez reprit peu à peu connaissance, retrouvant lentement contact avec chacun de ses membres engourdis.

Alvarez émergeait lentement... Progressivement il reprenait conscience, chacun de ses membres s'animant peu à peu. Son corps entier était douloureux, après avoir été inconscient durant presque deux jours, il était maintenant empoisonné... Il était temps de mettre un terme à son cauchemar.

Après quelques minutes à observer les alentours, il se redressa sur les coudes, observant les alentours et si son collègue était toujours là.