El vengador mudo

La porte faite de planches clouées à la va-vite grinça, laissant entrer une lumière vive et un courant d’air frais. Mais ni l’un ni l’autre ne suffirent à donner un peu de vie et de gaieté à cette endroit. La pièce était une véritable tombe. Son occupant un cadavre. L’odeur ne trahissait pas. Sauf que le macchabée en question respirait et mangeait encore. Et tant que ce serait le cas, Magda viendrait ici tous les jours. Elle entra dans la pièce, un plateau dans les bras. Un faible repas y trônait dans une vaisselle mal lavée. De quoi se plaindre ? Certain ici n’avait même pas ce luxe d’avoir une assiette et encore moins de se nourrir chaque midi. Magda déposa le plateau au sol, en faisant attention de ne rien renverser. Puis elle fit demi-tour sans rien dire. Juste avant de refermer la porte elle jeta un dernier regard dans la pièce à l’occupant des lieux. Un regard plein de tristesse pour cet homme abattu mais elle comprenait son choix. Elle avait de toute façon depuis longtemps arrêté de le dissuader. Elle força à faire un bref sourire sans savoir s’il avait été perçu par son destinataire. On aurait pu y déchiffrer un « bon appétit malgré tout ».

Dans le coin de la pièce, recroquevillé dans l’ombre, emmitouflé dans une vieille couverture poussiéreuse, celui qui s’appelait autrefois Matthieu se tenait immobile. Assis sur un matelas usagé et humide. La tête entre les mains. Ces longs cheveux poisseux lui tombaient devant le visage. Un gargouillement répondit finalement pour lui au rictus de Magda, mais trop tard pour qu’elle puisse l’entendre. Lui avait cessé de parler depuis un an. Il était seul. Il resterait seul. Avec pour compagnie ses souvenirs et la voix douce mais forte de Mathilda. Cette voix qui l’empêchait de se donner la mort pour de bon, qui lui donnait un dernier but avant de se sentir autorisé à la rejoindre.

Quelques minutes passèrent, quelques heures peut-être. Une pâle lueur filtrait sous la porte et éclairait la nourriture à laquelle il n’avait toujours pas goûté. Le rituel était chaque jour le même. Il absorberait des forces un peu avant de sortir, cette nuit, tel un zombie. La maigre pitance lui permettrait de tenir suffisamment longtemps debout pour trouver les informations qu’il cherche, et peu être aussi une bouteille d’alcool sur un clochard arrivé en fin de vie. Progressivement, mais trop rapidement pour que ce soit naturel, la lumière s’affaiblie. Les chiens se mirent à huer, les enfants à pousser des cris, les bruits familiers des activités quotidiennes se stoppèrent. Quelques acclamations retentirent par ici, ou des messages lugubres par là. Dans sa cellule faite de trois parpaings et d’une plaque de tôle, chaque phrase prononcée dans la rue s’entendait distinctement mais ils ne les écoutaient que rarement.

Que ce passe-t-il Mathilda ?

Dans son esprit torturé, la voix de Mathilda ne le rassura pas comme à son habitude, mais lui délivra un message énigmatique.

[Il faut parfois savoir balayer ce que l'on croyait solidement construit pour tout recommencer].

Alors qu’il s’étonnait encore de cette révélation, l’obscurité se changea brusquement en une vague chaleureuse de lumière intense. Elle s’infiltrait dans toutes les fissures pour inonder la pièce, en révélant chaque détail. Matthieu dû se plaquer les mains contre ces yeux, qui avaient perdu depuis un moment l’habitude de percevoir un tel éclat. Une vibration suivit peu après, la vibration se fit tremblement, puis violente secousse. Il ne put retenir un cri intérieur :

PUTAIN MATHILDA, C’EST QUOI TOUT CA ?!