Haut et Court

3 Octobre – 15H45



Conduisant plus prudemment cette fois, il parvint à Hope Town. C’est en longeant les faubourgs qu’il aperçut le guetteur. Au sommet d’un toit.
Aux jumelles, il reconnut ses couleurs. Les couleurs d’un gang qu’il ne connaissait que trop bien. Celui de son vieil ami… "N’a-qu’une-couille" !

Pas la peine de traîner ici. Il accéléra.
Si ce type et ses hommes étaient sortis du Tartare, cela n’augurait rien de bon. Rien de bon pour Wolf en tout cas.


Il fonçait entre deux barres d’immeubles, quand deux véhicules jaillirent de ruelles à l’avant, pour le bloquer dans ce défilé… Wolf enclencha la marche arrière, et en vit deux autres dans son rétroviseur qui lui barraient la retraite.
Des apaches armés commençaient même à montrer le bout de leurs plumes le long du canyon de la mort !

Qu’est-ce que John Wayne aurait fait, dans un tel pétrin ? Wolf, lui, tenta de redémarrer. Le coup du bélier.

Mais un frigo fut lâché du toit pile devant lui ! A une seconde près, ce serait le pare-brise et sa sale tête en bonus…

- C’est jour de brocante à Hope Town ?

On y faisait le ménage par les fenêtres. Et malheur au condé, malheur au bourge, malheur à l’étranger ! En fait, à quiconque n’était pas du quartier, qui ne pliait pas sous leur autorité.
Ils étaient comme les autres, comme ceux qu’ils croyaient combattre. Ils ne respectaient que la force et l’argent. Défendant leur pré carré. Tout comme les pouvoirs en place. C’était toujours pareil, depuis l’aube de l’humanité.

Sur ces amères mais brèves considérations, Wolf n’eut que le temps de serrer les dents. Les chocs, comme la vie, ce n’était qu’un mauvais moment à passer.
Il percuta le réfrigérateur avec fracas.
La voiture traîna l’électroménager sur quelques mètres, momentanément accompagnée de son propre minibar. Ou maxi-bar, en l’occurrence. Elle cala. Il était pris au piège.
Troisième accident en 24 heures, il y avait des jours à ne pas prendre un volant.



Des types jaillirent des halls d’immeubles et se ruèrent sur la porte du 4x4. Dans une demi conscience, Wolf n’eut que le temps d’entendre :

- « Ça alors ! Wolf Blixen ! Je te croyais mort… »

Et un grand coup de batte dans la gueule l’envoya pour de bon au pays de Morphée.

Il se réveilla ave un gros mal de crâne. Un sol poisseux à quelques centimètres des yeux.
Il y avait une odeur d’huile, de sang, de métal rouillé. Wolf était dans un grand atelier, largement fourni en instruments tranchants et pointus.
Il était pendu là, tête en bas, à une poutre de fer transversale, pieds et poings liés par une lourde chaîne.



Tout le gang était rassemblé.
L’une des baskets autour de lui le frappa brutalement au visage. Wolf prit conscience du sang qui dégouttait peu à peu sous lui.

- « Alors ? Tou es réveillé, ‘N’a Qu’un Œil’ ? T’as le bonyour de la Mano. !
Tou vois, yé té l’avais dit qu’on se retrouverait, cabron ! »

- « Ah c’est toi ‘Qu’une Couille’… J’vois que t’as pas changé… Toujours couillu face aux adversaires désarmés. »

Une volée de coups de lattes dans les côtes accueillit sa bravade.

- « Pas trop vite les gars. Yé veux lé voir souffrir longtemps, trèès longtemps… Il est à moi. »

- « Me garde quand même pas jusqu’au dîner. Souviens toi, j’ai un bon coup de fourchette… »

- « Hiro de puta ! Tiens, prends ça, ça, et ça, mierda ! »

Ils le prenaient pour une grosse piňata !
Une bonne rasade de coups de poins bagués, de coups de battes et de crachats plus tard, des bras tatoués vinrent immobiliser Wolf qui oscillait au bout de sa corde.

- « Eh ! Faut pas t’attacher ma poule…
ça serait pas le bandana qui vous excite en fait ? Ça fait un peu gang de tarlouzes, non ? »






- « Tou l’as cherché. Cette fois, yé vais t’écorcher vivant ! Et t’arracher l’œil ! »

Ses hommes l’encouragèrent tous en chœur.

- « Si, vas-y Jeffe, vas-y ! »

L’homme se saisit d’une sorte de ciseau à bois, et se mit à lentement découper des lambeaux de chair, le long du bras d’un Wolf qui étouffait ses cris.
L’autre souriait à pleines dents de sa vengeance tant attendue. Il l’épluchait. Enfin !


- « Bah ! Tou n’es pas si terrible que ça. Pourquoi toute cette histoire sur toi ? On m’avait dit de me méfier… Mais tou n’es plus qu’un vieux jamon fumé qui pendouille !

Et le plus drôle, gringo, c’est que ta mort va me rapporter gros… Il m’a promis la moitié de la ville et de ses richesses ! Rien que pour s’occuper de toi ! Faut vraiment qu’il l’ait mauvaise… »

Wolf cracha le sang qu’il avait dans la bouche.

- « Qui ça ? »

- « T’as pas oublié le vieux Jonah ? Tou sais… le gars à qui t’avais promis de le faire sortir avec toi. Le gars qui t’as filé des infos pour ta cavale… Tu le remets ? »

Et comment qu’il s’en souvenait. Comment l’oublier ? C’était le plus ancien dans cette taule, un boss, à sa manière. Même ainsi, condamné à un isolement perpétuel dans les oubliettes, il avait ses contacts et ses troupes. Il savait tout. Il était là depuis le début. Et tous le craignaient. Même les gardiens. On leur avait interdit de l’approcher ; c’est dire. Ils avaient eu trop de pertes.
De tous les tordus de cet enfer, c’était certainement le plus mystérieux, peut-être le plus dangereux.
Et il en avait après Wolf ! Normal... Querelle de mâles dominants.

Le chef de la Mano poursuivit :

- « Et ben c’est lui le boss maintenant ! Il est tout-puissant. Tou n’as pas idée à quel point. Tu peux pas imaginer ce que j’ai vu… Et yé crois que le message, c’est… servir ou mourir ! »

- « Dis lui qu’il arrive trop tard… On m’a déjà fait ce genre de proposition alléchante. »

- « Yé m’en doutais qué tou refuserais. Lui aussi. C’est bien pour ça qué yé accepté son offre… Mon plaisir dé té tuer ! »

- « Juste un truc… Il est ici Jonah ? »

- « No, porque ? Il a pas besoin. Il est resté là-bas. C’est notre forteresse… On est tous là, ahora. Debout. Grâce à lui. On lui doit tout. Et on est prêt à tenir la ville. On va pas la laisser à la secte ! »

Il parlait de Jonah avec une étrange lueur exaltée dans le regard. Un fanatisme semblait en valoir un autre.

Pourtant, y’avait un truc qui collait pas. – Pourquoi tenir à ce point à se venger de Wolf, qui avait laissé Jonah moisir dans sa cellule, si c’était pour rester cloîtré dans sa prison, sans profiter de sa nouvelle liberté ? – ça, ça dépassait Wolf complètement !

Peut-être y avait il une autre raison ?

- « Et si j’accepte de servir, c’est quoi l’idée ? »

- « Tou crois pas t’en tirer comme ça, non ? - Jonah voulait que tu piques de trucs pour lui. Ses gars ont pas pu atteindre la banque. Et il a parlé d’envoyer des pros au musée… Comme si la Mano pouvait pas le faire seule ! Doit y’avoir un sacré paquet de pognon là-bas !
Mais t’en profiteras pas, Wolf. Tu seras bientôt un chien aveugle… un chien sans queue ! »

- « Alors méfie-toi quand même… Je pourrai toujours te renifler le cul… »

Mathieu était sorti à la nuit tombée. Carla ne risquait rien. Il l’avait attachée au lit, pour qu’elle ne risque pas de se blesser… Et puis, Mathilda veillait sur elle.
Il l’avait laissée dans une chambre connue de lui seul, ou presque. C’était celle d’un boucher que les voisins avaient longtemps soupçonné de maltraiter ses enfants… Il leur faisait subir bien pire que cela. Et c’est dans cette chambre secrète qu’il les entraînait. Pour leur malheur.

On avait retrouvé cet homme au petit matin, un jour pluvieux de septembre. Il gisait avec un terrible masque de douleur, empalé sur un gros salami… C’était le dernier souvenir joyeux de Mathieu.
Pardon. D’El Vengador ! Mathieu ne savait rien de tout ça ; il était absent à ces moments là.


El Vengador avait saisi un hachoir en sortant de la boutique. Il s’était enfoncé dans la nuit.
Ils étaient revenus. Ils contrôlaient de nouveau le quartier. C’était eux. Il l’avait toujours su. Ceux qui avaient attrapé sa Mathilda, ceux qui l’avaient jetée nue et offerte sur un tas d’ordures, ceux qui l’avaient laissée dans ce terrain vague, le corps bleu et désarticulé.
Ils étaient revenus…
Et tous ces pleutres alentour. Qui l’avaient entendue hurler et s’étaient rendormis, paisiblement, bien à l’abri dans leur aveuglement consenti. Ils étaient morts maintenant, et pourrissaient tous dans leur intérieur douillet. – Bien fait pour eux !

Il fila comme une ombre entre les immeubles, rasant les murs jusqu’au quartier de la Mano. C’étaient de là qu’ils venaient. Toujours.
El Vengador avait remonté la piste, comme un vieux limier alléché, par la promesse d’une curée sanglante.

Attention ! Ils sont là !.

- « Je sais, Mathilda, je sais. Je le vois… Sur le toit. »

Et il s’engouffra dans la bâtisse, aussi impalpable qu’une brume matinale. Sans un bruit il parvint sur le toit. Sous ses pas, même le gravier ne crissait pas.

Pepe Diablo, qui surveillait les lieux armé d’un fusil à lunette, eut juste le temps d’entendre :

- « Te voilà… Qu’as-tu fait, malheureux ?! »

Et une poigne d’acier le saisit à la gorge quand il se retournait.

Une vieille femme marchait dans la rue. Soudain, un gamin en mobylette vint lui arracher son sac, traînant la vieille sur dix mètres, lui fracassant tout à la fois le bassin et le col du fémur dans le bel exploit…

On entendit un gros craquement sec. L’os de Pepe Diablo venait de céder… Et on n’en était qu’à son premier méfait.

Une rixe de rue, et un coup de cutter en travers de la tronche…
Une fille trop naïve qu’on pique à l’héro, pour mieux l’entraîner dans une cave, docile…
Un carottage de shit, qui se solde par deux bastos dans le bide du pigeon qui a trop ramené sa gueule…

El Vengador voyait tout ça.
Et Pepe Diablo revivait ces moments avec plus d’acuité encore. Il sentait la lame lui taillader la joue, la queue lui labourer les entrailles, et les impacts de balles lui déchirer les chairs !
Dans un terrible hurlement. Figé. Les yeux blancs révulsés.

- « Tu as pas mal merdé, fiston… Tu n’as que ce que tu mérites. - C’est tout alors ? Ta conscience a vidé ses péchés… ‘mon fils’ ? »

Il eut un sourire glaçant.
Ce n’était pas tout. D’autres images terribles. D’autres crimes.

- « Hélas, je ne suis qu’un père indigne… Il est temps de couper ce cordon ombilical. »

Et le hachoir s’abattit sur son crâne. Pepe Diablo ne sévirait plus.

Quelques instants plus tôt, Thomas Cruz haranguait ses troupes, les invitant à débarrasser les rues de la nouvelle Epsilon de sa racaille, à nettoyer la cité du fléau de sauterelles qui l’infestait !
Il en appelait à l’ordre, à la justice, à venger leurs camarades blessés. Ils ne pouvaient laisser la mafia diriger le monde de demain. Le monde parfait. Leur monde.

Normal… Il ne pouvait y avoir qu’une mafia…

Les hommes montèrent dans les pick-ups, chargèrent leurs fusils, et prirent la direction du faubourg.
La Synergie entrait dans Hope Town.

De là-haut, El Vengador dominait le quartier. Il voyait dans la nuit. Elle était son amie.

Epaulant le fusil à lunette de Diablo, il remarqua deux autres guetteurs… Et il les abattit un à un, avant qu’ils n’aient pu repérer leur bourreau !
Pour cette engeance, Vengador ne connaissait qu’une sentence.

La voie était libre. Il progressa de toit en toit… L’un d’eux était le coupable… Ils devaient tous disparaître !

Wolf avait plusieurs fois perdu connaissance. Son supplice durait depuis trois heures ou trois jours ; il n’aurait su le dire.
Il sortit des vapes au moment où un membre du gang faisait irruption dans l’atelier :

- « Jeffe ! Ils nous attaquent ! La secte arrive par le nord. Et… on n’a plus de nouvelles au sud. »

Wolf entendit ‘Qu’une couille’ hurler dans son talkie :

- « Pepe ? Pepe Diablo ?! »

Seule une voix rauque, voilée, lui répondit dans l’appareil :

- « Tu cherches le diable ? N’aie crainte… J’arrive ! »

Wolf rigola doucement. La Mano venait de perdre un doigt !
Leurs rêves de puissance tournaient déjà au vinaigre.

- « Vamonos, la Mano ! »

Et tout ce beau monde se rua vers la sortie en brandissant leurs armes et en gueulant que c’était la guerre !
Ils ne laissèrent qu’un homme pour surveiller leur prisonnier… Fatale erreur.

Les premiers coups de feu éclatèrent. Un feu nourri. Wolf lança au gars :

- « Alors les filles ? ça se gâte, on dirait ? »

- « Ta gueule ! Tu sais pas de quoi tu parles. On connaît le quartier. On va les exploser. On est invincibles ! »

- « Qu’est-ce tu connais des champs de bataille ? Attends d’entendre les balles siffler, et de voir tes camarades tomber… Mais p’t-être qu’ils t’ont laissé là parce que tu sais pas te battre ? »

L’homme se rapprocha, touché dans sa fierté de mâle latin.

- « J’ai pas peur ! On est la Mano ; tu comprends. On était tous morts, et on est vivants !
La mort est de notre côté, alors ils peuvent rien contre nous… Nada ! »

- « Ouais, c’est ça – Le côté obscur de la force est avec vous… Il vous manque plus que la jolie tenue en latex noir qui va avec… »

Cette fois, il était vraiment piqué au vif. Il s’approcha encore pour décocher un vilain coup de pied au pendu sans défense… Qu’il croyait.

Wolf n’avait plus qu’une arme – ses dents. Il saisit le bas de pantalon du gars, et tira d’un coup sec, de toutes ses forces.
Son gardien tomba à la renverse, et toujours oscillant la tête en bas, Wolf prit de l’élan d’un violent coup de rein, pour que le mouvement pendulaire l’amène au-dessus de l’homme qui déjà se relevait sur un coude.
Et c’est encore à pleines dents qu’il lui saisit la gorge au vol, sans réfléchir, sans même l’avoir planifié, par réflexe, un instinct inattendu, soudain désir de chair et de sang.

Sa gorge était aussi douce et frêle que celle d’une biche. Wolf avait raison finalement… D’une impitoyable morsure, il lui arracha la pomme d’Adam !
Et il le regarda se vider de son sang, y patauger agité de spasmes ridicules, jusqu’au dernier râle.


A présent, il fallait sortir de ce piège. Il y avait sûrement un objet au sol qui pourrait l’aider. Il se contorsionna pour regarder tout autour de lui.
Dans l’immédiat, il ne voyait qu’une solution… se ronger un pied pour s’échapper !

Les pick-ups de la Synergie s’étaient engagés sur le territoire à conquérir. Les guetteurs n’avaient offert qu’une maigre résistance.
Ils feraient bientôt la loi ici, raseraient cette zone insalubre pour y rebâtir, à leur idée, pour des gens à leur idée également.

Ils remontaient ce que Thomas Cruz prévoyait déjà de renommer le boulevard Travolta, quand trois bidons dévalèrent la rue dans leur direction… Ils laissaient une traînée de graisse dans leur sillage.

- « Attention ! Braquez à droite ! »

Mauvais réflexe. Toujours le même en cas de coup dur.
Déjà trois sillons de feu couraient vers eux à toute vitesse… Un véhicule se prit le fût qui cracha son liquide. Et trois explosions déchirèrent la nuit !
Des hommes descendirent en hurlant du camion en flammes, pour se rouler par terre et y laisser un peu plus de peau, à chaque mouvement, comme un steak saisi sur le braséro.

On avait dressé une barricade, et les hommes de la Mano avaient pris position. Une grêle de plomb s’abattit sur chaque camp.
Ce soir c’était la fièvre, sur le boulevard Travolta !

Il devait à tout prix attraper quelque chose pour se libérer.

Wolf remarqua que sa victime portait un pantalon de maton. Avec à la ceinture, le badge magnétique permettant de circuler entre les quartiers de la prison…
Ils venaient bien du Tartare ; il était sous leur contrôle, ou sous celui de Jonah Puch plutôt.
Son nouvel ennemi… Non content d’avoir l’état, la police et l’armée à ses trousses, Wolf se battrait contre les gangs, les mafieux, les sectes, et toute entreprise qui se dresserait sur le chemin de la liberté !

Wolf se balança de nouveau, jusqu’à heurter un présentoir et faire tomber les instruments de découpe qui s’y trouvaient.

Il en saisit un dans la bouche au passage suivant, puis tenta de se recroqueviller pour atteindre ses pieds… Difficile !

C’est alors qu’il le vit. Le visage sale et hirsute qui l’observait de derrière une vitre haute de l’atelier.

L’homme fit basculer la fenêtre et se coula à l’intérieur sans un bruit.
Il fixait la pauvre créature pendue là, tête en bas, plaie ensanglantée de tout son corps, qui roulait un œil torve, un œil unique au-delà de la folie !
Et le couteau entre les dents n’arrangeait rien au tableau…

Sur quel monstre sorti des enfers était-il tombé ? El Vengador contourna prudemment le pendu qui s’agitait en vain. Il disparut dans les ténèbres, avant de bondir pour saisir en arrière la crinière du prisonnier.

- « Tu m’as l’air mal en point… Qu’es-tu devenu ? Un pauvre diable ? »

Et ce simple contact transmit au Vengador toute l’étendue des crimes de Blixen !
Des narcotrafiquants sud-américains, des soldats irakiens, des mercenaires africains, beaucoup de soldats, des miliciens ; et un commandant raciste qui confondait volontiers tactique militaire et crimes de guerre… Quelques truands aussi, depuis.
Un beau tableau de chasse. - Qui bizarrement encourageait El Vengador à la clémence…

Aucun de ces meurtres, aussi nombreux soient-ils, ne lui paraissaient indignes ni monstrueux. Tous ceux que Blixen avait emportés servaient mafias, dictatures, et potentats locaux aux méthodes sans vergogne.
El Vengador comprenait cela… Sans doute parce qu’il se jugeait lui-même avec la même indulgence.
Et qu’il voyait en cette bête blessée un instrument dévastateur de sa vengeance. Un molosse déchaîné pour sa croisade.

Il libéra du pilier la chaîne qui le retenait, faisant chuter Wolf au sol.

- « Va, mon cerbère… Attaque ! »

Et il se renfonça dans les ombres, pour disparaître avec la nuit.

Wolf ne tarda pas à se libérer des derniers liens, plus par la force que par l’habileté. Il ne se sentait pas lui-même. Il avait une envie démesurée de se battre, une rage inhabituelle.

Il prit tout de même le temps de récupérer le passe du Tartare, puis il s’arma de la première chose qui lui tombait sous la main – un tube de métal, qu’il tailla aussitôt en biseau, d’un coup sec, comme on découpe un roseau !

Puis il se rua dehors, passant de couloir en pièce, se guidant au son des détonations.


Il finit par tomber sur deux membres du gang qui, depuis une fenêtre, arrosaient des types en contrebas.
Wolf fut sur le premier en deux enjambées, lui fracassant le crâne d’un coup de sa longue barre de métal. Le second qui se retournait n’eut que le temps de s’exclamer :

- « El Lobo ! »

Avant que le javelot improvisé ne fende les airs et ne le cloue littéralement au mur !

Wolf décrocha sa lance des briques, impitoyable, et l’homme s’affaissa dans un lent gargouillis.

Elena avait suivi le mouvement sans trop d’enthousiasme. Mais elle avait bien senti que refuser aurait été mal venu.
A présent, elle se défendait comme les autres, pour survivre plus que pour conquérir.
Elle avait pris part à un groupe qui tentait de contourner la barricade pour prendre le gang à revers.

Ils avaient été accrochés dans une ruelle par deux tireurs embusqués, qui les canardaient depuis les étages.
Elena avait eu l’intelligence de prendre position hors de leur champ de vision. L’expérience…


Quand soudain les tirs cessèrent… Une ombre rapide venait de passer derrière les fenêtres.
Et les vitres volèrent en éclat !

Alors Elena aperçut la… ‘chose’, qui tombait du ciel…

Un colosse borgne et barbu à longue chevelure, la poitrine luisante d’une armure noire. Et de puissants bras velus qui étreignaient une lance de métal !

Il eût été presque humain, sans les innombrables plaies qui lui tailladaient la peau… et sans ces inquiétants crocs proéminents.

Trois types en costard le mirent en joue. Il bougeait à une vitesse incroyable. Un mouvement circulaire de son arme en envoya deux au tapis, dans une grande giclée de sang qui alla décorer les murs alentour.

Le dernier homme debout fit feu sur la bête primitive, criblant son armure d’impacts. Mais cela ne pouvait suffire à l’arrêter.
La lance de fortune transperça le tireur en plein front !

C’était justement là qu’Elena visait. Aussitôt, le guerrier intemporel tourna son œil unique dans sa direction. Ils se dévisagèrent trois interminables secondes…

Elle avait trop hésité. Quelque chose retenait son bras.
Le géant velu bondit en sens inverse, détalant à toute vitesse dans la ruelle.


C’était encore plus incroyable que tout ce qu’Elena avait pu voir ces jours-ci.
Alors pourquoi détruire une si étonnante création ? Qu’elle soit de l’homme ou de la nature.

Après tout, la Synergie n’arrêtait pas de parler de l’homme nouveau, des élus… Et bien ils venaient de le rencontrer, l’homme supérieur !
Et dans ce monde inattendu, Elena craignait fort que ces recrues de la Synergie ne finissent bien bas dans la chaîne alimentaire !


Maintenant, elle était libre d’échapper à l’omniprésente surveillance du groupe.
Elle en avait soupé de leurs discours mielleux, dont la bienveillance éclairée cachait mal la dévorante ambition !
Pour cette fausse église, Orgueil et Avarice étaient le pain quotidien.

Elena prit la créature en chasse. Un homme sorti du fond des âges, en armure, treillis et rangers… c’était autrement plus intéressant que la guéguerre entre la mafia-cravate et la mafia-bandana !



4 Octobre - 2H20