"Au coeur des Ténèbres"

3 Octobre – 12H20



Perchés sur leurs montures mécaniques, le duo parvint au vaste terrain vague qui encerclait la haute forteresse.
Ils avaient délesté de leurs vélos de malheureux cyclistes au visage brûlé.


Les murailles grises trônaient seules au centre d’un petit désert terreux, dressant ses miradors aux cinq angles du bâtiment.
Et comme retranchées dans leur château moderne, des sentinelles armées surveillaient l’étendue interdite.

Les cris d’encouragement succédaient aux huées. Derrière ces murs, les prisonniers devaient faire un match de sport vraiment passionnant…

La vision des sentinelles rassura un peu Alvarez. Les prisonniers n'étaient pas livrés à eux même dans une ville dévastée. Il n'avait franchement pas envie de voir un "Epsilon 2013".
Néanmoins, les hurlements de joie l'inquiétait pas mal.
S'approcher de la prison était de plus surement dangereux.
Il repéra un lieu assez élevé en lisière du désert terreux afin d'y monter et observer la prison à la jumelle.

"- Ca me dit rien qui vaille Juan... j'aimerai néanmoins jeter un oeil. Après on file au sud essayer de trouver ta soeur ? "

- « ça roule ! Moi aussi je me demande ce qu’ils foutent là-dedans. C’est quand même pas le moment idéal pour se faire une partie. »

Juan le suivit dans un immeuble, jusqu’à une fenêtre qui surplombait les lieux.
Mais sans jumelles, il ne voyait pas grand chose. Que des petites silhouettes ici ou là.

Alvarez put mieux observer mieux la prison depuis son perchoir.

D’abord, il constata qu’il y avait effectivement des hommes rassemblés dans la cour. Certains s’agitaient et levaient le poing ; d’autres derrière un grillage, déambulaient lentement, en promenade.
Mais les murs empêchaient d’en voir plus.
Il remarqua aussi que les sentinelles portaient une tenue grise, sans insigne visible.

Puis Alvarez reporta son attention sur l’entrée. Deux guérites encadraient la grande porte ; et deux plantons de garde y étaient à leur poste, immobiles et droits. Tout fiers dans leur uniforme bleuté.

Enfin, un curieux détail l’intrigua sur la porte. A mi-hauteur un filet ballottait dans le vent, au bout d’une corde. Ça ressemblait à un paquet de noix de coco.

Alvarez essaya de voir si le sentinelles étaient armées et si leur uniforme gris était plus proche de celui d'un prisonnier que de celui d'un gardien.
Il tenta aussi d'estimer la distance qui les séparait de la prison et la taille du "paquet de noix de coco" avant de décrire ce qu'il voyait à son collègue.

" - Mais qu'est ce qu'ils foutent...
Certains sont au centre de la cours et gueulent, tandis que d'autres déambulent... Je ne vois pas grand chose d'autre. Mais... c'est étonnant, les sentinelles n'ont pas d'insignes et sont en gris.
Il y a un truc qui pend sur la porte, j'ai du mal à distinguer ce que c'est."

Il tendit les jumelles à Juan.

"Jette un oeil, c'est plutôt bizarre."

- « Fais voir… ah oui. C’est comme si y’avait deux groupes. On dirait que les excités regardent vers les marcheurs… mais je vois pas non plus ce qui y’a d’intéressant.
C’est des malades, ces prisonniers !
Et t’as remarqué ? Ils sont presque tous en gris. Ou en survêt. Au moins chez nous, ils ont droit à une belle tenue orange… c’est plus gai ! »

Il lui rendit ses jumelles.

- « Désolé. On voit pas derrière les murs avec ça. »


Il y avait un peu plus de cent-vingts mètres entre eux et l’édifice. Et dans le filet repéré par Alvarez, il ne pouvait y avoir plus d’une dizaine de noix.

Observant le filet, Alvarez essaya de discerné s'il était teinté de sang. Idem pour le sol.

"- Je doute que l'on puisse approcher plus en avant... j'ai pas spécialement envie d'aller me frotter aux matons, et toi ?
On peut éventuellement faire demi-tour et aller au sud chercher ta soeur."

Alvarez avait vu juste. Des tâches sombres souillaient effectivement le sol au pied du portail. Sous le filet, et devant les guérites.

De subtils reflets indiquèrent qu’un filet humide coulait encore le long du chemin pentu qui menait à la prison. Un chemin sanguinolent.

Juan se gratta machinalement la tête.

- « C’est sûr, là si on approche, y nous verront forcément... ça dépend si on veut leur parler ou pas…
Mais pour en savoir plus, faudra bien prendre un risque…
Et d’un autre côté, si y z’ont de mauvaises intentions, on sera à leur merci. »

Il hésitait, tiraillé entre sa curiosité et son coeur.

- « Si t’y vas, j’y vais. Mais moi, je suis plus inquiet pour elle que pour les prisonniers, alors… »

Pour lui, c’était le choix naturel. La famille passait en premier, forcément.

"J'ai comme l'impression que les trucs pendant dans un sac devant la porte principale sont........ des têtes. Regarde, on dirait qu'un filet de sang dégouline et se répand sur le sol.
J'ai peur de tirer des conclusions....

Soit les matons ont décapité des prisonniers récalcitrants alors que ceux-ci profitaient des phénomènes étranges du 1er Octobre pour s'échapper, soit c'est l'inverse. les prisonniers ont réussi et ont zigouillé les gardiens qu'ils observent en train de déambuler derrière les grillages.
Dans tous les cas, avec un pauvre fusil tranquillisant et une machette on peut pas faire grand chose.

En savoir plus serait peut être utile. Si une bande d'assoiffé de sang déboule en ville, autant le savoir, mais n'est ce pas prendre un risque inutile que de s'approcher ?

L'aventure avec l'araignée et le jaguar ont quelque peu refroidi mon héroïsme, je serais plus d'avis d'enfourcher les vélos et d'aller vers le sud."

- « Ay ! Madre de Dios, t’as raison ! C’est des coupeurs de têtes ! »

Ca changeait tout. Il n’avait pas envie de finir dans un filet à noix de cocos…

- « Bon, alors on repart. Au pire, on peut toujours revenir plus tard. »

Et puis il y avait autre chose qui le chiffonnait.

- « En plus, c’est trop bizarre… tous ces braves gens qui sont morts dans la ville… dans les rues, dans les immeubles… Et eux, ils ont rien ! Pourquoi c’est les salopards qui s’en sortent ?! »

Ca l’énervait, ça. Y’avait vraiment aucune justice !

" J'en ai pas la moindre idée...
Il s'est vraiment passé quelque chose d'étrange, par moment, après mon réveil j'ai eu l'impression d'entendre des voix provenant de ma tête. Comme si je me soufflais moi même des réponses à l'oreille.
Par exemple, quand j'ai croisé cette plante il la sort de sa poche j'ai tout de suite su que c'était une ipomoea et le mot "Tlitliltzin" m'est apparu... La chose s'est reproduite à une ou deux autres reprises...

Je me disais que seuls les gens en extérieur avaient péri mais... au zoo, les employés étaient dans les bâtiments administratifs.

J'ai ensuite repensé à l'intense lumière, dernier souvenir avant mon évanouissement, en me disant qu'elle avait peut être grillé le cerveau de ceux l'ayant aperçue. Tu sais, comme quelqu'un qui regarderait le soleil et qui se brulerait la rétine, mais en pire...

Ca pourrait éventuellement marcher, j'étais dans un sous sol sans fenêtre sur l'extérieur, je crois. Je n'ai qu'indirectement vu la lumière. Cette hypothèse fonctionnerait également pour les prisonniers et certains gardiens... Mais toi, tu étais en extérieur nan ?"

Tout en parlant Alvarez redescendit vers les vélos.
Comme convenu, ils allaient se diriger à l'endroit où Juan avait perdu les trâces de sa soeur.

- « Mmm, c’est intéressant comme idée. C’est vrai que j’étais caché à l’arrière, dans un camion. On n’a pas vu directement la lumière non plus ; juste le flash à travers les rainures.
Mais les autres aussi avec moi.
Alors y devraient avoir survécu aussi… Enfin j’espère.
Par contre ça me dit pas comment j’ai fait pour me retrouver si loin du périph sans m’en souvenir… Baaah ! »


Il n’avait pas de théorie à proposer, que des questions. Ah, s’il avait pu faire des études comme voulaient ses parents, il aurait peut-être mieux compris. Mais gamin, il avait trop traîné dans les rues à jouer au foot, et plus tard ce fut la jungle son terrain de jeu.

Heureusement, il était très doué en langues. C’est ce qui lui avait permis de trouver un boulot :
Guide sur site, à Chichen Itza, et pour des expéditions de recherche archéologique.


Juan avait quand même appris pas mal de choses. Notamment en fréquentant des anciens, qui véhiculent encore des secrets ancestraux.

- « Tu sais… Je connais un peu le nahuatl, et le quiché aussi. Même si ma langue natale est plutôt le yucatèque.
Ça veut dire "Chose noire sacrée"… Et tu sais à quoi on utilisait cette fleur ? »

"Dans les cérémonies religieuses Aztèquses je suppose.
Non ?"

Alvarez rangea les jumelles en parlant, près à prendre le large vers le sud.

- « Oui, c’est ça. Les chamans en prenaient, pour rentrer en contact avec les esprits. Et ils en donnaient aux jeunes initiés, pour qu’ils trouvent leur esprit animal, leur protecteur, qu’on appelle aussi « la voie » chez nous. C’est un peu comme le totem, chez les natifs américains. »

Ils redescendirent ensemble les escaliers pour reprendre la route.

- « Mais je vois pas pourquoi ça pousse ici… surtout aussi vite. C’est pas naturel tout ça ! »

Juan cracha de nouveau à terre.

" Ne faisons pas de vieux os dans le coin. Allons retrouver ta sœur!!
J'ai pas envie de voir ma tête orner le fronton d'une prison jusqu'à décomposition.

Alvarez entreprit de redescendre de son perchoir et enfourcha son vélo, attendant que son compère prenne la tête de leur modeste compagnie.

3 Octobre – 12 H 40

Ils reprirent l’avenue en sens inverse, passant le zoo et la station de métro.

Zigzagant d’abord entre les voitures, ils finirent par remarquer qu’un chemin avait été précédemment ouvert par un gros véhicule.
Quelqu’un avait déjà circulé sur cette avenue et forcé le passage par endroits.

Enfin, ils atteignirent un grand carrefour.



Vers le sujet : Les Rues / Disparitions.